Trahir le temps: 9. Surveiller et punir

PERIODES SANS DATES:

LES METAPHORES DE SURVEILLER ET PUNIR([1])

 

"Tous mes livres, que ce soit l'Histoire de la folie ou Surveiller et punir, sont, si vous voulez, des petites boîtes à outils. Si les gens veulent bien les ouvrir, se servir de telle phrase, de telle idée, telle analyse comme d'un tournevis ou d'un desserre-boulon, pour court-circuiter, disqualifier les systèmes de pouvoir, y compris éventuellement ceux-là mêmes dont mes livres sont issus... eh bien, c'est tant mieux"  ([2])

 

   Le Tout n'est pas appréhendable, il faut le décomposer pour l'étudier. Par un processus souvent analysé, les morceaux ainsi créés sont investis d'une existence - voire d'une essence - dont on aura le plus grand mal de se débarraser. De même en histoire un quelconque découpage du Temps est inévitable, en périodes notamment. Il a été démontré plus haut que même la période la plus arbitraire, le siècle, est vite réifiée - sa réification a précédé presque son invention. Simple outil de travail, la période finit par nous être extrêmement précieuse - car elle produit de la cohérence.

   Trop. Ses usagers, que ce soit le spécialiste de la Renaissance ou celui du XVIIIe siècle sont constamment confrontés aux trop nombreuses données qui échappent à la cohérence de la tranche de temps par eux isolée. Pour la sauver, on utilise toute une gamme de techniques qui ont pour but soit d'intégrer ces brebis égarées coûte que coûte, soit carrément les éliminer. Ces manipulations répétées expliquent la très mauvaise réputation de la périodisation depuis quelques dizaines d'années, comme les divers efforts pour la contourner, à travers l'histoire de la longue durée par exemple.

   Dans l'épilogue ("L'historème"), on attribue le malaise à la façon dont l'historien construit son contexte. Le contexte historique légitime, la Méditerranée à l'époque de Philippe II, par exemple, est toujours basé sur la métonymie, c'est-à-dire sur la proximité dans l'espace et dans le temps. On y propose alors un remède radical, qui consiste à assumer pleinement la primauté du problématique dans la construction d'un objet historique pertinent. Ici, on restera encore en terre orthodoxe, où ne reconnaît que le découpage spatio-temporel (la France au XVIIIe siècle, par exemple). La périodisation est donc tributaire de la chronologie en ère chrétienne. De ce fait, les frontières entre périodes ne peuvent être dites qu'en dates (d'où les débats cocasses comme "Est-ce que les Temps Modernes commencent en 1453 ou en 1492?"). Cette technique s'avère trop coûteuse; mais d'alternatives, point.

 

   "Le problème du continu et du discontinu est un problème fondamental, qui se pose au début et au terme des sciences mathématiques et physiques, et qui, sous une forme ou sous une autre, se pose ou se posera à toutes les autres disciplines humaines, naturelles ou morales"([3]). Or les historiens, parmi les premiers concernés, semblent pourtant l'éviter. Pas Michel Foucault. Il ne sera pas trop abusif de lire l'ensemble de son oeuvre aussi à travers cette grille. Dès l'Histoire de la folie Foucault a clairement posé les ruptures entre deux âges au centre de sa réflexion historique. L'Archéologie du savoir  est même une sorte de "manifeste discontinuiste" :"En somme l'histoire de la pensée, des connaissances, de la philosophie, de la littérature semble multiplier les ruptures et chercher tous les hérissements de la discontinuité, alors que l'histoire proprement dite, l'histoire tout court, semble effacer, au profit des structures sans labilité, l'irruption des événements"([4]). Et Foucault d'importer la discontinuité en "histoire tout court": "La discontinuité, c'était ce stigmate de l'éparpillement temporel que l'historien avait à charge de supprimer de l'histoire. Elle est devenue maintenant un des éléments fondamentaux de l'analyse historique"([5]). Ce qui est dit ici dans le descriptif, il faudrait évidemment le lire dans le prescriptif.

   La discontinuité est constitutive du programme généalogique de Foucault, tel qu'il est défini dans "Nietzsche, la généalogie, l'histoire"([6]): "Il faut mettre en morceaux ce qui permettait le jeu consolant des reconnaissances. Savoir, même dans l'ordre historique, ne signifie pas , et surtout pas . L'histoire sera  dans la mesure où elle introduira le discontinu dans notre être même". Contrairement à l'histoire "antiquaire" ([7]), qui cherche à "reconnaître les continuités dans lesquelles s'enracine notre présent: continuités du sol, de la langue, de la cité" -, "l'histoire, généalogiquement dirigée [...] entreprend de faire apparaître toutes les discontinuités qui nous traversent"(p.169).

 

   Selon Surveiller et punir, les années 1760-1840 ont vu l'émergence - l'Entstehung nietzschéen - d'une constellation fondamentalement nouvelle dans l'histoire de l'"économie du pouvoir". Mais comment dire cette émergence sans faire appel aux découpages classiques? L'absence de la Révolution française du scénario écrit par foucault est révélatrice. Elle annonce ce qui est selon moi la contribution de Foucault dans l'art de découper le Temps: construire les unités non pas à l'intérieur de limites chronologiques, mais autour d'un champ magnético-sémantique. Autour d'une, ou de plusieurs métaphores.

 

 

Une lecture biaisée de Surveiller et punir

 

L'ordre de ma découverte de Surveiller et punir, de ses problèmes surtout, étant significatif ici, on le respectera dans le compte-rendu qui suit.

 

   Lecture flâneuse de Surveiller et punir: Naissance de la prison([8]). Mais le livre m'a vite envoûté, puis, le tiers lu, inquiété. Depuis quelques dizaines de pages, ce ne sont pas seulement les "épistémès"([9]) - les choses - qui ont changé, mais aussi les concepts chargés de les décrire - les mots. Comme si au changement dans le "style pénal"(p.13) devait répondre un changement dans le style historiographique. Le champ sémantique qui évoque la deuxième phase de l'histoire disciplinaire qui va, grosso modo, des années 1760 à nos jours, est totalement différent de celui qui décrit l'Ancien Régime: un langage économique et technologique s'est substitué à un langage liturgique et cérémoniel.

 

   Cette impression m'a incité à reprendre le livre depuis le début, pour souligner les occurrences de l'un ou de l'autre champ. Ce travail fastidieux a amplement confirmé la mutation stylistique qui s'opère vers la page 75 (Foucault parle de "mutation technique", p.261). Plusieurs passages l'annoncent très tôt (cf. pp.15-16), d'autres la rappellent: "Les cérémonies, les rituels, les marques par lesquels le plus-de-pouvoir est manifesté chez le souverain [Phase A] sont inutiles. Il y a une machinerie [Phase B] qui assure la dissymétrie, le déséquilibre, la différence. Peu importe, par conséquent, qui exerce le pouvoir. Un individu quelconque, presque pris au hasard, peut faire fonctionner la machine"(203, c'est moi qui souligne; et aussi p. 117-118).

 

   Quel statut accorder à ce langage? Les énoncés tels "cérémonial de la peine"(14), " du corps" (30), "liturgie pénale"(51), "théâtre punitif"(118), "machinerie carcérale" (251), sont des métaphores (terme qui couvre ici toute forme de langage figuré). Jusqu'à une date récente, la métaphore avait mauvaise presse dans les sciences, à cause de son aspect ornemental et impressionniste. Elle était accusée de réintroduire la rhétorique, pire, l'éloquence dans le discours scientifique, alors même qu'il se voulait affranchi d'un héritage trop littéraire. Mais depuis une trentaine d'années, l'accent a été complètement déplacé, le jugement normatif, inversé. Des philosophes de la langue et de la science comme Max BLACK, Mary.B. HESSE, Stephen TOULMIN, Douglas BERGGREN ont démontré le rôle déterminant de la métaphore dans toutes les aventures de l'esprit, y compris dans les sciences "pures"; approche qui a trouvé une synthèse magistrale dans La métaphore vive de Paul RICOEUR ([10]).

   Le dossier de la métaphore en histoire, qui reste à instruire, s'articulera autour de deux oppositions. L'une tient compte de la spécificité des sciences de l'homme, en distinguant les métaphores du chercheur et les métaphores des acteurs (métaphores pour penser et pour analyser la réalité vs. métaphores qui façonnent la réalité). La seconde oppisition s'applique à tout domaine de connaissance, et disjoint les métaphores heuristiques (vives) et les métaphores paralysantes (mortes).

   On peut relever une certaine dissymétrie dans la façon d'appréhender la question. On privilégie les métaphores du chercheur au détriment de celles des acteurs, les qualités heuristiques en négligeant leurs pesanteurs. Des linguistes ont pourtant démontré le bien-fondé de l'idée proposée par NIETZSCHE, et déjà par VICO, que notre appropriation du réel, de nous-même, passe par un travail métaphorique; que le sens "littéral" n'est qu'une métaphore usée. Il s'ensuit que la métaphore n'est pas seulement cette "redescription de la réalité" (Paul RICOEUR), mais aussi, et beaucoup plus souvent, le figement de la réalité. En d'autres termes, la métaphore tend à devenir une sorte de forme matricielle (gestalt), ne permettant pas de voir ce qui la déborde([11]). Chercheurs et acteurs, nous sommes tous piégés par des métaphores figées, comme "corps social" ou "time is money"; pour s'en libérer, il nous faut les contourner, les déplacer, les pervertir, bref, il nous faut de nouvelles métaphores.

 

  Pour observer comment les diverses métaphores ont façonné en Foucault la lecture de la réalité, il fallait quitter son texte et suivre ses traces dans les textes qu'il a disséqués. Autrement dit, on se proposait de vérifier l'hypothèse selon laquelle les choix métaphoriques, si puissants créateurs de sens, réduisent parfois radicalement le réel. Ma lecture de foucault et des auteurs violentés par lui a alors complètement changé; d'un farouche réquisitoire contre l'irrespect des témoins du passé, elle s'est transformée en une interrogation sur la notion même de respect.

 

   L'éloge de la métaphore conduit à évacuer ce qui la rendait si suspecte pour le langage scientifique, son caractère "rhétorique". Comme dit Ricoeur, la métaphore incarnait, pour beaucoup, le glissement du "dire vrai" au "bien dire". Et si on s'accorde à présent sur l'utilité de la métaphore dans la découverte du vrai, on préfère ne pas trop s'attarder sur son rôle dans la communication de "ce"(?) vrai. C'est la question qu'on devra alors poser: quelle est la fonction rhétorique du travail métaphorique, intense, dans Surveiller et punir? Pour anticiper, je dirais que les métaphores de Foucault doivent faire passer le (son) vrai improuvable.

 

  

De la liturgie des supplices à la technologie disciplinaire

 

   Dans Surveiller et punir, comme dans l'Histoire de la folie, comme dans Naissance de la clinique, l'argumentation repose sur une cascade d'oppositions qui ne cessent d'en reproduire Une plus profonde. Les premières pages annoncent déjà le ton (la couleur...), en mettant en regard en 1757, le supplice de Damiens,en 1838, l'emploi du temps quasi-militaire d'une maison de jeunes détenus à Paris.Tout le livre peut être lu comme une variation sur l'opposition entre la Phase A, rituelle, et la Phase B, technologique.

 

       PHASE A: RITUEL            PHASE B: MACHINE

 

Rituel/rite                   Economie/gestion/distribution/

Liturgie                      accumulation/fabrication

Fête                          Tactique/stratégie/projet/

Carnaval                      programme/calcul

Cérémonie/cérémonial          Technologie/technique/techniciens

Spectacle/spectateur          Sémio-technologie

(Mise en) scène               Mécanique/mécanismes

Théâtre                       Machine/machinerie

                              Instrument/appareil/pièce/

                              rouages/ressorts/

                              Ingénieur

                              Orthopédie/anatomie politique/

                              observatoire/laboratoire

 

Corps humain                  Corps social/cité

                              Contrat/pacte

                      Pratique

                Art           Beaux-Arts

                   Arsenal

 

   Il était d'ailleurs intéressant de relever les endroits où Foucault met ces termes entre guillemets, pour marquer leur statut métaphorique. On s'aperçoit alors que ces guillemets sont d'une extrême rareté: j'en ai repéré 14 en tout, sur des centaines d'occurrences métaphoriques (à comparer avec l'inflation des guillemets chez Max Weber, par exemple). On comprend que ces métaphores soient passées inaperçues - Foucault fait tout pour qu'elles soient lues littéralement. Il y a plus: sur ces 14 cas, pas un seul ne concerne la Phase A. On en tire l'impression que ce ne sont ne pas des métaphores mais des métonymies, voire des index. De même, sur ces 14, 6 s'appliquent "économie" (pp.30,83,94,220,277,310), pourtant la plus neutre des métaphores de la Phase B, la plus usée aussi([12]).

 

   Si les affirmations binaires abondent dans le livre, cela n'empêche pas Foucault de discerner trois phases punitives (pp.133-134): Phase A rituelle et cérémonielle, Phase B scénique, Phase C technique([13]).

   Le statut de ces trois phases, si on en admet l'existence, n'est pourtant pas équivalent: selon Foucault, le théâtral (B) et le technique (C) ont prétendu supplanter le rituel (A), mais seul C s'est traduit dans les faits, B n'ayant jamais dépassé le stade utopique. Mais surtout, l'ensemble du livre dément ce passage - et ce dès le début (1757 vs. 1838). De même, il est aisé de démontrer l'interchangeabilité, dans le livre, entre termes cérémoniaux (A) et termes théâtraux (supposé B) (cf. pp. 17, 53, 61, 67, 117). Et si l'intention affichée est parfois ternaire, l'ordre du discours est toujours binaire.

 

   Il ne s'agit pas d'une opposition strictement chronologique. La fin de la première phase et le début de la seconde ne sont pas datables. Et surtout, les deux phases ont longtemps coexisté plus ou moins pacifiquement, vu le retard de la pratique sur la théorie (l'"utopie" - c'est ainsi que Foucault qualifie le Panopticon de Jeremy BENTHAM), vu aussi le retard d'un champ disciplinaire sur un autre (de la prison sur la caserne, par exemple). C'est ce que montrent les pages inoubliables que Foucault consacre à la chaîne des forçats (261-267), dernière(?) survivance de la Phase A dans une société déjà dominée, écrasée par la Phase B. De ce morceau d'anthologie, on  retiendra ici l'arsenal métaphorique par lequel Foucault marque cette "anomalie". En sept pages, Foucault utilise "spectacle/spectateurs" 7 fois, "rite/rituel(s)" 4 fois,  "fête" 4 fois, "cérémonial/cérémonie" 3 fois, "scène" 3 fois, "sabbat" 2 fois, ainsi que "jeu des mascarades et des marionnettes", "foire ambulante du crime", "défilé", "ronde", "noces" "saturnales", "danse", "farandole", "théâtre", "comédie", "fastes". Et il est tout a fait symptomatique que c'est la voiture des forçats qui sert d'emblème pour la fin de ce "spectacle", - voiture que Foucault tient à appeler "machine" par deux fois (267,268).

 

   L'opposition n'est ni chronologique, ni puriste. L'interpénétration - rare - des deux phases existe. Il existe même une pratique  où les deux registres, le rituel et le technologique, sont forgés en une synthèse: l'examen (186-196) (infra).

  

 

Métaphores du chercheur ou métaphores des acteurs?

 

   On a souvent souligné l'importance de la mécanique dans le discours de Foucault. Jacques LEONARD a même fondé là-dessus sa critique([14]), où il dénonce le caractère kafkaïen du livre, d'"une machinerie sans machiniste". A cette critique, Foucault répond:

 

"L'automaticité du pouvoir, le caractère mécanique des dispositifs où il prend corps n'est absolument pas la thèse du livre. Mais c'est l'idée du XVIIIe siècle qu'un tel pouvoir serait possible et souhaitable, c'est la recherche théorique et pratique de tels mécanismes, c'est la volonté, sans cesse manifestée alors, d'organiser de pareils dispositifs, qui constitue l'objet de l'analyse. Etudier la manière dont on a voulu rationaliser le pouvoir, dont on a conçu, au XVIIIe siècle, une nouvelle  des relations de pouvoir, montrer le rôle important qu'y a occupé le thème de la machine, du regard, de la surveillance, de la transparence, etc., ce n'est dire ni que le pouvoir est une machine, ni qu'une telle idée est née machinalement. C'est étudier le développement d'un thème technologique que je crois important dans l'histoire de la grande réévaluation des mécanismes de pouvoir au XVIIIe siècle, dans l'histoire générale des techniques de pouvoir..."([15]).

 

   Les droits d'auteur des métaphores mécanistes reviendraient donc aux contemporains, selon une reconstitution faite à partir des textes de l'époque (on remarquera, en passant, qu'il n'attribue pas le vocabulaire rituel aux contemporains antérieurs).

    Cette réponse n'est guère satisfaisante, pour deux raisons, intrinsèquement liées:

-- I. Comment Foucault le structuraliste (de surface, de surcroît) peut-il accorder aux grilles des autochtones (les native speakers) le statut de critère décisif, d'expérience cruciale? qui plus est dans un livre qui pousse très loin la neutralisation de l'intentionnalité?

-- II. Et s'il s'avérait que la métaphore mécaniste a. n'a pas dominé la pensée des contemporains, et/ou b. n'était pas moins présente dans la pensée des générations précédentes - la démonstration de Foucault serait-elle réfutée pour autant? NON. Car la réponse de Foucault implique l'adhésion à une logique de preuve que toute son oeuvre récuse.

 

   Un indice permet de pencher plutôt vers une réponse inverse. Je veux parler de l'usage que Foucault fait du "discours mixte", plus connu sous le terme style indirect libre. Il s'agit d'énoncés dont l'attribution est partagée ou ambiguë. Le cas classique est le discours indirect qui comporte des propriétés du discours direct; exemple: "il a dit que tu dois rentrer tout de suite! Sinon...". Songeons aussi à la citation où interviennent des éléments plus plausiblement imputables à celui qui cite; exemple: "et le gamin dit à sa mère: "([16]). Or chez Foucault, l'ambiguïté de l'attribution est un stratagème rhétorique de choix ([17]). En voici deux exemples:

 

1. "Cette critique monotone de la prison, il faut noter qu'elle s'est faite constamment dans deux directions: contre le fait que la prison n'était pas effectivement correctrice, que la technique pénitentiaire y restait à l'état de rudiment; contre le fait qu'en voulant être corrective, qu'elle y perd sa force de punition, que la vraie technique pénitentiaire, c'est la rigueur..."(273; c'est moi qui souligne).

 

  Ici,le style indirect libre laisse entendre que la terminologie employée après le "que" est à attribuer au critique cité, Charles Lucas en l'occurrence. Il n'en est rien: le terme "technologie pénitentiaire" ne fait guère partie de son discours.

 

2. "Or à toute cette campagne les réponses données par le gouvernement et l'administration sont très constantes. Le travail pénal ne peut pas être critiqué en raison d'un chômage qu'il provoquerait [...] Ce n'est pas comme activité de production qu'il est intrinsèquement utile, mais par les effets qu'il prend dans la mécanique humaine"(245; c'est moi qui souligne).

 

   Là aussi, le lecteur a tendance à attribuer le terme "mécanique humaine" au gouvernement et à l'administration. Et pourtant, rien, dans le texte, n'appuie cette lecture que tout, dans le texte, invite à faire.

   On pourrait ainsi multiplier les exemples; en effet, toute demi-citation où figurent des termes liturgiques, économiques, technologiques, sont à lire avec précaution. Or si Foucault avait repéré des textes contemporains contenant ces termes, il les aurait tout simplement cités.

 

   Un procédé proche est employé dans les commentaires des citations, comme celle qui est tirée des Motifs du Code d'instruction criminelle du juriste impérial Jean-Baptiste TREILHARD (pour différencier les deux langages, celui du témoin est en italiques):

 

"Prison-châtiment, prison-appareil: corruption; que les règles d'une morale saine soient pratiquées dans les maisons de force; qu'obligés à un travail qu'ils finiront par aimer, quand ils en recueilleront le fruit, les condamnés y contractent l'habitude, le goût, et le besoin de l'occupation; qu'ils se donnent respectivement l'exemple d'une vie laborieuse; elle deviendra bientôt une vie pure; bientôt ils commenceront à connaître le regret du passé, premier avant-coureur de l'amour des devoirs». Les techniques correctrices font tout de suite partie de l'armature institutionnelle de la détention pénale"(236; c'est moi qui souligne).

 

   Parler dans ce cas de "résumé" n'est possible qu'en termes structuralistes: Foucault formule, voire formalise ce que Treilhard tait, ce dont il est inconscient ou honteux.

  

 

La métaphore comme forme matricielle (Respect I)

 

   La métaphore gestaltienne implique deux hypothèses: I. la grille économico-technologique, même si elle apparaît dans les textes des contemporains, doit son omniprésence dans le livre au seul choix de Michel Foucault - il ne voit qu'au travers de cette grille; II. cette grille donne, certes, du sens à ces textes, mais elle  réduit radicalement le champ de vision du Foucault-lecteur - il ne voit pas ce qui échappe à cette grille. Pour le vérifier, il était urgent d'aller sur les traces de Foucault, de revisiter les ouvrages cités par si abondamment. Dans ce chapitre, on examinera la première hypothèse, de la "redéscription du réel" par le gestalt, plus tard ("Respect III"), la deuxième, les laissés pour compte du gestalt.

 

   Deux noms, Léon Faucher et Charles Lucas, auteurs chacun d'un De la Réforme des prisons (en 1838), n'ont cessé de retenir mon attention, tant leurs textes cités étayaient les arguments de Foucault. On doit à Faucher entre autre le Règlement pour une Maison de jeunes détenus à Paris (12-13); à Lucas , quelques morceaux de choix (infra). Avec L.-M. Moreau-Christophe, auteur lui aussi d'un De la réfome des prisons en France en cette même année 1838, ils cristallisent la logique dégagée par Foucault. Pour l'économie de la démonstration, je la limiterai à ces deux figures. 

 

   Léon Faucher. Par goût de la recherche lattérale, on a commencé par consulter sa Correspondance et sa Vie parlementaire, publiées en 1867, et précédées d'une longue notice biographique. Ces ouvrages nous réservent une triple surprise: sa "pensée pénitentiaire" n'occupe que trois phrases (p.xx) dans la notice qui contient 163 pages; une seule lettre parle des prisons, en 1838, en des termes très plats([18]); une seule intervention au parlement, en tant que Ministre de l'Intérieur (le 20 mai 185l), touche ce thème - sans la moindre métaphore économico-technologico-orthopédique.

   Toujours par goût du détour, je me suis penché sur son article de 1844: "Du Projet de loi sur la réforme des prisons"([19]). C'est une analyse critique du projet gouvernemental, en particulier des propositions de Tocqueville. Homme de son temps, il se soucie surtout de l'isolement cellulaire. De métaphorique économique et technologique en ce texte, point.

   Cet article est intéressant à plus d'un titre. J'ai été intrigué par le passage suivant, sachant que son auteur est aussi celui du célèbre Règlement:

 

"Le projet de loi laisse entièrement de côté la question si grave du personnel de la surveillance dans le prisons. Cependant la bonne discipline d'un pénitentiaire et la réforme des condamnés dépendent surtout du choix des hommes préposés à la direction. Le personnel est tout dans un établissement pénal; la règle est secondaire. L'on ne réforme pas le hommes en écrivant des chartes disciplinaires ou des arrêtés ministériels; il faut incarner la règle dans la personne d'un chef, la rendre vivante et agissante, pour être entendu et obéi"(([20]); c'est moi qui souligne).

 

   Les propositions de Faucher m'ont plus frappé encore. Pour le dire vite, elles sont imprégnées d'un rousseauisme élémentaire. La ville corrompt l'homme avec ses usines, ses ateliers, ses cadences inhumaines - trente ans plus tard il aurait parlé d'aliénation. Il faut renverser le mouvement des campagnes vers la ville. Une solution s'impose, pour les détenus du moins: le pénitentiaire agricole.

 

   C'est donc avec curiosité que j'ai entrepris la lecture de La réforme des prisons de Léon Faucher. Premier contact, première trouvaille: Foucault a omis de signaler que le livre "se vend au profit des jeunes libérés". Geste hypocrite? peut-être; mais pas dépourvu de signification.

    Mais venons-en au Règlement([21]). Là aussi, on rencontre une omission qui ne saurait être gratuite: dans une note en bas de page, non reproduite par Foucault, Faucher écrit: "Ce travail n'est point l'application libre et entière de mes idées sur la question; il avait fallu proposer, non point ce qui valait le mieux, mais ce qui avait le plus de chances de réussir"; et il est aisé de comprendre que ce texte est écrit conformément à l'attente de son commanditaire, "M. L'Inspecteur des prisons". Et si ce destinataire était Moreau-Christophe, pour qui "les crimes sont les maladies morales dans le corps social" ([22]), des maladies incurables qui plus est? Quoi qu'il en soit, cette note reflète parfaitement l'esprit du livre. Tout, dans la pensée de Faucher telle qu'elle est exprimée ici, comme dans l'article qu'on vient de citer, va à l'encontre de ce Règlement! Cette pensée a en effet pour point de départ la conviction qu'il faut imaginer "un système pénitentiaire positif" ([23]). Son modèle: un pénitentiaire agricole sur l'île de Wight tout récemment fondé, qui conjugue un régime cellulaire la nuit avec un travail commun dans les champs le jour. Rien à voir, donc, avec cette prison-caserne citadine dont Foucault fait l'idéal de Faucher.

   Faucher reapparaît deux fois dans Surveiller et punir. Et, n'hésitons pas à employer ce terme, dans les deux cas Foucault trahit sa pensée. Page 247, en note, Foucault, pour appuyer son analyse de la "machinerie humaine", fait un rapprochement entre une description de l'atelier des femmes à Clairvaux et un passage de Faucher décrivant une filature. De ce passage, Foucault cite: "Y a-t-il au monde un contraste plus affligeant que la régularité et la prévision de ces mouvements mécaniques, comparées aux désordres d'idées et de moeurs, que produit le contact de tant d'hommes, de femmes et d'enfants". Mais c'est le début de ce passage, non cité par Foucault, qui définit clairement le fond de la pensée de Faucher:

 

"De nos jours, et au point où l'on a poussé la division du travail dans ces immenses ateliers où chaque ouvrier, n'étant qu'une pièce du grand rouage, reçoit une éducation tout-à-fait spéciale qui l'isole de ses chefs et de ses camarades, la nécessité d'une loi commune se fait sentir plus impérieusement pour former un faisceau de tant d'atomes épars".

 

   Le procédé est le même aux pages 245-246, où se lit une longue citation du livre de Faucher, qui se termine par ces phrases: "Le travail devait être la religion des prisons. A une société-machine, il fallait des moyens de réforme purement mécaniques". Or  la suite de ce pasage, toujours non-citée par Foucault, indique que Faucher reproduit ici un dicours qu'il critique férocement:

 

"...mécaniques; on occupe le pauvre, on a cru qu'il suffissait d'occuper le malfaiteur: Ce langage n'est point une fiction, et il n'est pas seulement l'esprit de la loi; les réformateurs eux-mêmes n'en savent pas d'autre: voici des textes étranges, mais formels [suivent trois brèves citations de Howard, Julius et Livingston]. On a donc installé de nombreux ateliers dans les maisons de détention, l'on a exigé des condamnés une tâche quotidienne [...] Les récidives cependant n'ont pas cessé de s'accroître"([24]).

 

   On avancera, on aura raison, que tous ces exemples ne mettent pas en cause les grandes thèses de Foucault. Ce qu'il attribue à Faucher, Faucher attribue aux autres, et, significativement, aux "mentalités" de l'époque. Un malaise, néanmoins, subsiste. Comment échapper à l'impression que ces omissions ne sont pas fortuites (la "machinerie" du texte...)?

 

   Impression renforcée par la lecture de La réforme des prisons de Charles LUCAS. C'est de cet ouvrage que Michel Foucault à tiré un passage (Tome II, pp.123-124) à première vue décisif, qu'il faudrait donc reproduire ici (là aussi, le "témoin" est en italiques):

 

"Il faut qu'elle [la prison] soit la machinerie la plus puissante pour imposer une nouvelle forme à l'individu perverti; son mode d'action, c'est la contrainte d'une éducation totale: emps de veille et de sommeil, de l'activité et du repos, le nombre et la durée des repas, la qualité et la ration des aliments, la nature et le produit du travail, le temps de la prière, l'usage de la parole et pour ainsi dire jusqu'à celui de la pensée, cette éducation qui, dans les simples et courts trajets du réfectoire à l'atelier, de l'atelier à la cellule, règle les mouvements du corps et jusque dans les moments de repos détermine l'emploi du temps, cette éducation, en un mot qui se met en possession de l'hommes tout entier, de toutes les facultés physiques et morales qui sont en lui et du temps où il est lui-même». Ce  intégral prescrit un recodage de l'existence bien différent de la pure privation juridique de la liberté et bien différent aussi de la simple mécanique des représentations à laquelle songeaient les réformateurs à l'époque de l'Idéologie"(pp.238-239; c'est moi qui souligne).

 

   On aura remarqué l'orientation particulière du résumé que Foucault donne des propos de Lucas. Il y a plus. Ce long passage, présenté comme prescriptif, est en réalité farouchement critique. Voici la suite, toujours non-citée:

 

"Si grande est cette puissance, quand on en mesure toute l'étendue, qu'on sent le besoin d'être rassuré par son bon usage; car il y aurait dans son abus un système de tortures morales cent fois plus épouvantables que tout le cortrège des tortures physiques inventées par le génie de l'inquisition et abolies par celui de la civilisation; il y aurait pour l'homme, dans ce despotisme de la liberté morale, dans cette destruction de sa personnalité, dans ce bâillonnement de sa parole, dans cet esclavage de sa pensée, un raffinement de cruauté qui dépasserait toutes les barbaries du moyen âge, de tout l'intervalle qui sépare les souffrances de l'âme des souffrances du corps. Nous avions donc raison de dire que, loin d'être dépouillée des pouvoirs d'intimider, la discipline pénitentiaire était armée au contraire d'un levier dont elle avait plutôt à limiter qu'à épuiser la force, et qu'elle avait ainsi moins à craindre de manquer de puissance, que de prudence et de circonspection" (c'est moi qui souligne).

 

   Tout comme pour Faucher, on peut concilier les propos de Lucas avec les thèses de Foucault. Avec ce handicap de taille: d'"accusés", les réformateurs du XIXe siècle deviennent "co-accusateurs"; ce qui laisserait le banc des "accusés" étrangement vide, ayant, pour seul occupant, le "système". Or même un structuraliste préfère attribuer la logique par qu'il dégage à des sujets conscients et volontaires plutôt qu'à sa seule perspicacité (par la suite, on prétendra qu'il en va de la force performative des métaphores choisies par Foucault). De même, insister sur le caractère polémique des passages de Faucher et de Lucas rendrait suspecte la valeur documentaire de leurs témoignages.

 

 

"Du bon usage de la ([25])(Respect II)

 

"L'historien dit ce qui a lieu, le poète, ce qui pourrait avoir lieu, c'est-à-dire le possible",Aristote, Poétique,9

 

   Il ne fait pas de doute que Foucault trahit les acteurs historiques; mais peut-on lui trouver des circonstances atténuantes? C'est en ces termes quasi-juridiques que j'ai d'abord statué sur l'"affaire Surveiller et punir"([26]), avant de me rendre compte de l'idée bien curieuse de la fidélité(du respect) qu'ils impliquent.

   D'abord, parce qu'elle postule une utopie de la haute fidélité. Tout compte-rendu est une "trahison", qui résulte de la double opération de tri et d'interprétation; toute traduction est "trahison", qui obéit à deux séries de normes incompatibles, de vénération de la source et d'accomodation au système d'accueil ([27]); déjà toute citation est "trahison": après la magistrale démonstration de Borgès, "Pierre Ménard, auteur de Don Quichotte", nous en savons plus sur la prétendue innocence du discours direct. Les juristes refusent ainsi fort justement l'opposition binaire entre fidélité et trahison, et proposent une typologie du décalage par rapport au texte original: extra-legem, contra-legem, etc.

    Mais à imaginer la possibilité d'une fidélité totale, on voit mal son intérêt pour l'historien. Ce n'est pas en parlant à la place des acteurs que celui-ci remplirait son contrat, mais en dessinant les contours des possibilités de discours et d'action que ces acteurs ont en partie actualisées.

   Jochen HOOCK propose une belle définition de l'histoire: Dire ce qu'on ne peut pas dire ou faire dans un moment historique donné. Celui-ci se définit par ses impossibles (comment ne pas songer au Rabelais de Lucien FEBVRE). 

   L'historien, n'en déplaise au popperianisme commun, ne saurait pourtant se confiner à la seule élimination, il se hasarde aussi dans le possible. Pour revenir à Foucault, on doit interroger ses champs métaphoriques dans le cadre du jeu subtil entre  possible et impossible. Question possibiliste: la condensation de la Phase A autour du pôle rituel et cérémoniel, de la Phase B autour du pôle technologique et économique, entre-t-elle dans l'ordre des possibles contemporains? Je répondrais par l'affirmatif. Questions impossibilistes: serait-il aberrant d'inverser les champs et parler de rituel pour la Phase B, de technologique pour la Phase A? et de Phase rituel et technologique? C'est la question de l'interchangeabilité.

   Y répondre est moins aisé. Pour le faire, on peut soit plonger dans les sources, ce qui n'est pas mon ambition, soit dans Surveiller et punir, qui l'est bel et bien. On l'a dit, la métaphorisation n'y est pas puriste. Il arrive à Foucault de parler de la première phase en utilisant l'économique (39, 62; p. 81, il précise qu'il s'agit d'une "mauvaise économie du pouvoir"), et la mécanique (43,45,60) - mais pas, sauf erreur, à la technologie. Il lui arrive surtout de parler "rituellement", "théâtralement" de la deuxième phase, tout en corrigeant souvent par un "mais". Si "la punition publique est la cérémonie du recodage immédiat"(112), la page suivante nuance "que les châtiments soient une école plutôt qu'une fête; un livre toujours ouvert plutôt qu'une cérémonie". Autres exemples: "Non plus le grand rituel terrifiant des supplices, mais au fil des jours et des rues, ce théâtre sérieux, avec ses scènes multiples et persuasives"(115); "Le petit tribunal qui semble siéger en permanence dans les édifices de la discipline, et qui parfois prend la forme théâtrale du grand appareil judiciaire, ne doit pas faire illusion: il ne reconduit pas, sauf par quelques continuités formelles, les mécanismes de la justice criminelle jusqu'à la trame de l'existence quotidienne"(185); "L'opération pénitentiaire, si elle veut être une vraie rééducation, doit totaliser l'existence du délinquant, faire de la prison une sorte de théâtre artificiel et coercitif où il faut la reprendre de fond en comble(255); et voir aussi p.180, où une situation annoncée comme "un cérémonial" est résumée comme "un petit mécanisme pénal".

   Ainsi, l'hypothétique interchangeabilité des deux champs est plutôt uni-directionnelle: on parle volontiers de "rituel" pour la Phase B, beaucoup plus difficilement de "technologie" pour la phase A. Ce qui nous incite à parler d'une éventuelle loi de conservation de la métaphore: il est pratiquement impossible de se débarrasser d'une couche métaphoprique ancienne, elle continue à investir les nouvelles couches.

 

   Expérimentation: On a pris un passage de Surveiller et punir riche en double métaphorisation. Puis on a "traduit" les termes rituels en termes technologiques, et vice versa (faute de mieux, on a soit supprimé des termes marquée, soit les a-t-on réécrits en des termes plus neutres, signalés par les caractères gras). Soit le passage sur le Panopticon de J. Bentham, pp.203-204:

 

                       Version originale

"Dispositif important, car il automatise et désindividualise le pouvoir. Celui-ci a son principe moins dans une personne que dans une certaine distribution concertée des corps, des surfaces, des lumières, des regards; dans un appareillage dont les mécanismes internes produisent le rapport dans lequel les individus sont pris. Les cérémonies, les rituels, les marques par lesquels le plus-de-pouvoir est manifesté chez le souverain sont inutiles. Il y a une machinerie qui assure la dissymétrie, le déséquilibre, la différence. Peu importe, par conséquent, qui exerce le pouvoir. Un individu quelconque, presque pris au hasard, peut fonctionner la machine: à défaut du directeur, sa famille, son entourage, ses amis, ses visiteurs, ses domestiques mêmes".

                  Version "inversée"

"Système important, car il désindividualise le pouvoir. Celui-ci a son principe moins dans une personne que dans une certaine articulation concertée des corps, des surfaces, des lumières, des regards; dans un rituel dont les processus internes sont à l'origine du rapport dans lequel les individus  évoluent. Les technologies, les mécanismes, les signes par lesquels le plus-de-pouvoir est manifesté chez le souverain sont inutiles. Il y a une mise en scène qui assure la dissymétrie, le déséquilibre, la différence. Peu importe, par conséquent, qui exerce le pouvoir. Un individu quelconque, presque pris au hasard, peut assurer l'office: à défaut du prêtre, sa famille, son entourage, ses amis, ses visiteurs, ses domestiques mêmes".

 

   Cet exercice périlleux confirme la double dissymétrie entre les deux champs: gamme limitée d'un côté (que seul le chapitre consacré à la chaîne des forçats élargit ad hoc), extrêmement variée de l'autre; transplantation aisée de A sur B, tirée par les cheveux de B sur A. Car si les termes répertoriés dans la Phase rituelle sont transposables dans la nôtre, il serait tout-à-fait inapproprié de parler, pour la Phase A, de projet/programme/rouages/ ingénieurerie... Ceci ne manquera pas d'avoir des conséquences.

   Cette non-transivité relative rappelle l'anachronisme, "Confusion de dates, entre ce qui appartient à une époque et ce ce qui appartient à une autre", Robert. L'anachronisme est donc interchangeable en théorie. Mais dans la pratique il est uni-directionnel: il n'est vécu - pour être combattu - que par le viol du passé par le présent. Le présent envahi par le passé est plutôt qualifié d'"archaïsme"; il ne s'agit alors plus d'une opération intellectuuelle de projection, mais de mélange réel.

 

 

La machine(rie) métaphorique: faire passer l'improuvable

 

   On connaît la définition de Platon: "la rhétorique est ouvrière de la persuasion" (Gorgias, 453a). Convaincre, non pas se convaincre. Car à Athènes, la rhétorique fut en premier lieu l'arme devant la justice. Et la croyance en l'innocence du client n'a jamais fait partie du contrat d'un homme de loi, cette profession "où plus on ment plus on a de succès"([28]). C'est probablement cette conception péjorative de la rhétorique qui explique l'absence de la persuasion dans les débats actuels sur la métaphore dans les sciences. On semble toujours admettre la tension, voire l'incompatibilité entre le "bien dire" et le "dire vrai". En langage platonicien, on dirait que le Vrai étant le Beau en soi, il doit s'imposer sans l'aide d'artifices en tous genres. Ce qui donne le syllogisme suivant: Pour dire le vrai, nul besoin de rhétorique; qui fait appel à la rhétorique, essaie de convaincre sans y croire (/sans s'y connaître/sans que le destinataire s'y connaisse...). La métaphore, arme rhétorique s'il en fut, cache donc, en l'imposant, la tromperie ou l'ignorance.

   Nous savons à présent "mieux". Le Vrai n'est pas si transparent que cela; il ne se suffit pas, et pas seulement à cause de l'ignorance ou de la mauvaise foi du destinateur. Nous sommes hélas le plus souvent dans l'impossibilité de trancher entre deux "vrais" ou plus, chacun étant cohérent avec ses prémices, et/ou dans l'impossibilité de prouver un "vrai". Faire dans ces cas appel à la rhétorique, cette "ouvrière de la persuasion", afin d'imposer "son" vrai, n'implique ni ignorance, ni, surtout, duplicité. Bien au contraire: plus on y croit, moins on lésine sur les moyens rhétoriques, et donc sur les métaphores.

 

   Revenons à Michel Foucault et à ce en quoi il croyait jusqu'à en devenir rhéteur. Je pense ne pas trahir sa vision de l'histoire en la qualifiant de discontinuiste. Si les historiens évitent d'affronter ce thème, c'est que "le problème du continu et du discontinu demeure avant tout, et au premier chef, un problème philosophique"([29]), métaphysique - le fragwürdig de Heidegger. Il est improuvable, ou, pour reprendre Karl POPPER, irréfutable([30]). Toute l'historiographie de la Révolution française, de toute révolution confirme ce constat. La rupture entre l'Avant et l'Après n'est pas plus démontrable que leur continuité. On opte alors pour la solution "molle", triviale (trop vraie): dans chaque moment historique singulier il y a de l'ancien et du nouveau, du  et du . Comme écrit Louis de Broglie, à qui on doit la définition de la lumière comme synthèse des ondes (continuité) et des corpuscules (discontinuité): "l'évolution des doctrines dans toutes les régions de l'activité intellectuelle [...] montre que les concepts du continu et du discontinu poussés à l'extrême et opposés l'un à l'autre sont impuissants à traduire la réalité, et que celle-ci exige toujours une fusion subtile et presque indéfinissable des deux termes de cette antinomie"([31]). Autant qu'en sciences, plus encore peut-être, le dosage, en histoire, est déterminé par ce qu'il ne faut pas hésiter d'appeler la vision du monde, continuiste ou discontinuiste, de l'historien. Cette métaphysique relevera donc toujours du domaine de l'improuvable, du non-dit - et/ou de la rhétorique.

 

  Selon Michel Foucault, les années 1760-1840 ont vu l'émergence d'une constellation fondamentalement nouvelle dans l'histoire de l'"économie du pouvoir". Que le supplice de Damiens et l'ordre du jour de la Maison des jeunes détenus à Paris renvoient à deux "économies du châtiment" complètement différentes, et même opposées, nous serons tous(?) enclins à l'admettre. Il est moins facile de faire passer des pratiques que tout rapproche comme appartenant à des structures fort différentes, de convaincre qu'entre "théâtre" et "théâtre sérieux" il y ait une opposition tranchée. Et le plus difficile serait d'imposer sa propre lecture des sources, qui veut que l'emploi des mêmes termes, de ce côté et de l'autre de la "cassure", obéisse à des logiques antinomiques. Ce qui est admis en linguistique fonctionnaliste depuis Saussure et Jakobson, à savoir qu'il n'y a pas de sémantique intrinsèque, paraît en argumentation historique comme de la manipulation opportuniste des sources, ou de l'arbitraire hérméneutique de l'historien. Foucault dit lui même que l'enjeu de la domination, en histoire, est le monopole de l'interprétation: "Si interpréter, c'était mettre lentement en lumière une signification enfouie dans l'origine, seule la métaphysique pourrait interpréter le devenir de l'humanité. Mais si interpréter, c'est s'emparer, par violence ou subreption, d'un système de règles qui n'a pas en soi de signification essentielle, et lui imposer une direction, le ployer à une volonté nouvelle, le faire entrer dans un autre jeu et le soumettre à des règles secondes, alors le devenir de l'humanité est une série d'interprétations"([32]). Quel beau résumé de la démarche interprétative-rhétorique de Foucault lui-même, illustrée par sa lecture de Charles Lucas, qu'il "ploie à une volonté nouvelle, qu'il fait entrer dans un autre jeu et soumet à des règles secondes".

 

   Revenons à la "machine(rie) métaphorique" de Surveiller et punir, construite autour de l'opposition entre le rituel-théâtral et le techno-économique. L'opposition est maintes fois explicitée: ainsi "théâtre" est opposé à "mécanique/ rouages" (p.15), "art" à "économie" (p.16), "rituel" à "économie" (pp.46, 96), "Fête/cérémonie" à "école/livre" (p.113), "rituel terrifiant" à "théâtre sérieux" (p.115), "théâtre/rituel" à "architecture/ édifice" (p.117), "théâtre" à "appareil" (p.118), "cérémonies/rituels" à "machinerie" (p.203), "spectacle" à "surveillance" (p.218), "traditionnel/rituel" à "technologie/ calculer/gérer" (p.222).

   Ainsi, la rupture entre la Phase A et la Phase B, ne pouvant être démontrée que très partiellement, est véhiculée à travers des choix linguistiques. Ce faisant, Foucault obéit à la première maxime d'Aristote concernant le changement, à savoir que "la différence en jeu dans le changement est celle entre des oppositions logiques, contraires ou contradictoires"([33]).  Profondément philosophe, Foucault historicise des possibilités logiques, pourtant a-temporelles par définition; pour paraphraser la célèbre définition de la poésie de Roman Jakobson: "projeter le principe de l'équivalence de l'axe paradigmatique sur l'axe syntagmatique", Foucault projette le principe de l'"équivalence" - qui n'en est pas une - de l'axe (pseudo)-logique sur l'axe historique. La construction du livre est l'historicisation de deux oppositions-enchaînements, "organisme->machine" et "synthèse->analyse"; une troisième, "chaud->froid", fédère implicitement les deux autres.

 

   Faire du couple "synthèse-analyse" un opérateur d'histoire sociale et politique est d'une grande nouveauté. Renvoyons au chapitre consacré à l'emploi du temps dans les systèmes disciplinaires (pp.151-154). Le couple "organisme-machine" a en revanche déjà été placé sur l'axe historique. Ici, l'apport de Michel Foucault est neuf, certes, mais discutable. Selon son analyse, la phase machiniste a succédé à son opposé, la phase organiste. Or d'autres recherches proposent des scénarios différents. Pour Karl W. DEUTSCH, auteur de l'étude pionnière sur ce thème([34]), c'est exactement l'inverse qui s'est passé. Il affirme que le concept d'"organisme" a supplanté vers 1770-1800 le concept de "mécanisme" dans la pensée scientifique et socio-politique; c'était une conséquence de l'accent mis alors sur la plénitude, l'interrelationalité, la croissance et l'évolution de l'être biologique, humain et social. Citons aussi l'excellent ouvrage de Judith E. SCHLANGER, Les métaphores de l'organisme ([35]), dont un chapitre: "Organisme, mécanisme et langage de l'harmonie", démontre qu'il s'agit en réalité d'une "fausse antithèse", d'une "opposition stéréotypée" mais intenable. Schlanger voit toutefois une prégnance des métaphores organiques dans la pensée romantique et post-romantique - ce qui va plutôt dans le sens de Deutsch.

   A cette réserve se superpose le problème de l'emploi de la notion "corps". Selon Foucault, la Phase A avait pour objet privilégié, le corps humain, la "scène" du "théâtre des supplices". Ce n'est donc pratiquement qu'à propos de la Phase B qu'il emploie le terme, pourtant pluri-séculaire, de "corps social" (pp. 84, 92, 101, 133, 134, 145, 233, 305, 308, 310, etc.; un contre-exemple: p.117, et encore...). Les besoins de la construction par oppositions mènent Foucault à réserver le terme "corps social" à l'époque où, selon lui,le corps physique a été plus ou moins évacué de l'économie disciplinaire. Faut-il insister sur la partialité de ce choix? ou sur son incompatibilité avec le scénario "organisme -> machine".

 

        *                     *                    *

 

   Le parti pris "aristotélicien" de Foucault, de dire le changement à travers une série d'oppositions tranchées, mutuellement exclusives, s'il comporte bien de risques, dont on vient d'établir un inventaire partiel, a aussi des avantages indéniables. Et en premier lieu celui de l'heuristique. Imposer à la réalité son hypothèse antinomique et chronologique permet à Foucault la découverte d'autres hypothèses qui compliquent son scénario. En effet, l'analyse ne s'arrête pas au triomphe de la machine. Les technologies disciplinaires, pour être véritablement efficaces, doivent être parfaitement interiorisées par les individus qui en sont les victimes - c'est à dire tout le monde; le résultat final est une "société-machine": "Le pouvoir disciplinaire a pour corrélatif une individualité non seulement analytique et  mais naturelle et (p.158) - ce qui rappelle le modèle désormais classique de Norbert ELIAS.

 

  Dire la discontinuité à travers des oppositions quasi-logiques a surtout l'avantage de la clarté argumentative, donc de l'efficacité persuasive. Si l'on adhère à la thèse selon laquelle l'histoire disciplinaire a subit une mutation dans les années 1760-1840, il faut trouver un moyen de la marquer. Car les critiques locales faites et considérées, il reste que les choix globaux de Foucault de marquer le passage d'une ère d'impossibilité à l'autre par le passage d'un champ métaphorique à un autre se trouvent amplement justifiés.

 

  Paul Feyerabend, dans une analyse iconoclaste de la stratégie démonstrative de Galilée([36]), démontre que celui-ci, tout en croyant dur comme fer en la théorie copernicienne, la savait, à l'époque, improuvable, pour des raisons technologiques, théoriques, épistémologiques, métaphysiques. Ce cas est spectaculaire, mais non unique. Car il y a rarement de coïncidence entre les intuitions, les convictions, les techniques, et les habitudes scientifiques. Le décalage est même la règle. Contre la méthode soulève donc un problème plus général, qui recoupe la distinction heideggerienne entre fraglich et fragwürdig: Est-ce qu'on ne doit poser à la réalité que des questions que l'appareil théorique et technologique permet? Doit-on s'abstenir de toute question dont on sait les réponses improuvables ou impossibles à réfuter? Ou doit-on plutôt partir des questions, et l'appareil suivra - ou ne suivra pas? Là aussi, l'enseignement de Michel Foucault est précieux.

   Une des conséquences de la théorie de Feyerabend est qu'afin d'imposer une hypothèse dissonante, on est condamné à faire appel à la rhétorique. Dans le cas de Galilée, la "rhétorique" signifiait l'intimidation et la ridiculisation des adversaires, l'humour, les jeux de mots, les artifices, les spectacles. Dans le cas de Michel Foucault, la "rhétorique" implique, entre autres stratagèmes, l'imposante machine(rie) métaphorique. Mais existe-t-il d'autres moyens pour penser, pour faire passer la discontinuité, dans son acception forte, qui est celle de Foucault? Selon moi, la réponse est négative, encore plus que dans l'affaire Galilée. Pour imposer des convictions de ce genre, il faut le plus souvent brutaliser, manipuler la réalité. Ne lésinons pas sur les termes: il faut "tricher".

 

 

De la liberté; ou: Comment devient-on Foucault? (Respect III)

 

   "Le fou est un homme libre", dit Lacan([37]). Foucault, s'il met fou entre guillements en le généalogisant, n'est pourtant pas insensible à ce genre de provocation. Mais d'où vient l'impression de liberté si lucide qu'il donne lui même? Et comment concilier ses analyses, où les acteurs semblent irrémédiablement prisonniers d'un ordre mis à jour par Foucault, et la possibilité d'y échapper, du moins partiellement, qui fut la sienne? Voici posée la question qui pèse sur les plus ardents lecteurs de Foucault - et plus généralement, sur les pratiquants de tout système global. Foucault ne définit pas les opérateurs (dans le sens mathématique du terme) qui permettent de se décaler par rapport à l'ordre autrement que par la folie. Je verrais trois issues à cette angoisse: le Vouloir nietzschéen, l'éclatement de l'idée d'ordre, l'estrangement.

 

   Vouloir. Un silence: dans Surveiller et punir, Foucault ne fait aucune allusion à l'histoire pénale que Nietzsche propose dans La Généalogie de la morale, II. Ce silence est d'autant plus surprenant, qu'il s'agit d'une leçon magistrale en généalogie, justement amplement citée (5 fois) par Foucault dans "Nietzsche, la généalogie, l'histoire". La confrontation des deux généalogies aurait fait apparaître bon nombre d'accords - et quelques désaccords fondamentaux([38]). Surtout, cette confrontation aurait pu problématiser le modèle, évidemment beaucoup plus achevé, mais aussi plus oppressant, de Foucault. Relevons une divergence essentielle: la démonstration de Nietzsche est dominée par la possibilité de s'en sortir. C'est par la volonté de puissance, qu'il me semble plus approprié d'appeler la "puissance du Vouloir", que Nietzsche commence l'analyse:

 

"Cette tâche d'éléver et de discipliner un animal qui puisse faire des promesses a pour condition préalable, ainsi que nous l'avons déjà vu, une autre tâche: celle de rendre d'abord l'homme déterminé et uniforme jusqu'à un certain point, semblable parmi les semblables, régulier et, par conséquent, appréciable [...] Plaçons-nous par contre au bout de l'énorme processus, à l'endroit où l'arbre mûrit enfin ses fruits, où la société et sa moralité des moeurs présentent enfin au jour ce pour quoi elles n'étaient que moyens: et nous trouverons que le fruit le plus mûr de l'arbre est l'individu souverain, l'individu qui n'est semblable qu'à lui-même, l'individu affranchi de la moralité des moeurs, l'individu autonome et supermoral (car  et  s'excluent), bref l'homme à la volonté propre, indépendante et persistante, l'homme qui peut promettre - celui qui possède en lui-même la conscience fière et vibrante de ce qu'il a enfin atteint par là, de ce qui s'est incorporé en lui, une véritable conscience de la liberté et de la puissance, enfin le sentiment d'être arrivé à la perefection de l'homme. Cet homme affranchi qui peut vraiment promettre, ce maître du libre arbitre, ce souverain - comment ne saurait-il pas quelle superiorité lui est ainsi assurée sur tout ce qui ne peut pas promettre et répondre de soi, quelle confiance, quelle crainte, quel respect il inspire - il  tout cela - et qu'avec ce pouvoir sur lui-même,le pouvoir sur les circonstances, sur la nature et sur toutes les créatures de volonté plus bornée et de relations moins sûres, lui est nécessairement remis entre les mains"([39]).

 

   Ordre. L'ordre, tel qu'il émerge des écrits de Foucault, qu'il l'intitule épistémè ou non, a toujours quelque chose de monolithique: une époque égale un ordre. Cette position, on l'a vu, ne laisse point de place à la liberté autre que celle du fou-artiste. Trois idées, dont deux ont déjà été discutées ici, permettent d'ébranler l'édifice:

- un moment est caractérisé par ses impossibilités, pas par un possible cohérent;

- la discontinuité est d'origine synchronique, voire logique, avant qu'elle investisse la diachronie;

- la réalité est un "archipel" constitué d'ilôts de cohérence - d'ordre - qui sont logiquement, ou pseudo-logiquement en contradiction les uns avec les autres; la liberté serait dans la possibilité, rarement complètement consciente, de l'homme de sautiller d'un ilôt à l'autre, quand un ordre ne correspond (plus) aux intérêts, idéologies, besoins, humeurs qui sont les siens([40]).

  

    Ce qui nous ramène à notre métaphore de la forme matricielle. En taisant les critiques de Lucas et de Faucher, Foucault individualise le "machinisme" - et le rend crédible. Mais à quel prix? Autrement dit, qu'est-ce que ses options métaphoriques l'empêchent de voir dans les textes qu'il lit? Il ne s'agit pas de proposer une contre-métaphore, mais d'indiquer un domaine que la grille économico-technologique laisse plus ou moins de côté: la religion. (Disons tout de suite que cette exclusion n'est point inévitable, comme l'a montré Max WEBER). Restons avec les réformateurs de l'an 1838.

   L'article de Faucher dans la Revue des Deux Mondes a déjà attiré mon attention. Voici sa description des détenues de Fontevrault:

 

"Vous verrez sur leurs joues des larmes silencieuses, seuls indices qui trahissent dans cette retraite le trouble de leur coeur [...] Le repentir ou tout au moins la réflexion a laissé des traces profondes sur toutes ces figures [...] Et quel tort ne ferait pas aux détenues de Fontervault l'emprisonnement solitaire, qui leur enleverait le spectacle édifiant qu'elles se donnent les unes aux autres, de leurs progrès journaliers vers le bien"(p.403).

 

   On retrouve ce même spiritualisme dans De la Réforme des prisons. Dans une analyse foucaldienne avant la lettre, Faucher propose le catholicisme comme modèle global du social:

 

"Le catholicisme est la dernière forme religieuse et politique qui ait eu la prétention d'embrasser l'homme tout entier, et de ne laisser aucune partie de la société en dehors du gouvernement. Dans cette admirable organisation, le système répressif ne tient pas moins de place que le système préventif. Au point de vu religieux, la pénitence est un sacrement, comme le baptême et l'eucharistie; au point de vue politique, nous voyons s'ouvrir presque en même temps les écoles, les hôpitaux, les asiles et les monastères; la chaire et la cellule sont, à un égal degré, les symboles de l'institution."(Introduction, p.5).

 

  L'idéal, selon Faucher, serait une version laïque de ce modèle: "Aux Etats Unis, par exemple, la religion joue un grand rôle dans le système pénitentiaire[...] Mais la population des prisons en France a d'autres moeurs; elle appartient à la nation la plus sociable à la fois et la moins religieuse des deux continents. L'action de l'homme s'y doit faire d'autant plus sentir, que l'on y révère moins le nom de Dieu"(p.6).

   Pour Charles Lucas, en revanche, la religion n'appartient point au passé, la réforme du système pénitentiaire devrait même passer par la religion pour aboutir.  Le chapitre intitulé "De l'action comparée du catholicisme et du protestantisme sur l'éducation pénitentiaire"(pp.410-415) arrive à la conclusion suivante: "Qu'une société soit catholique ou protestante, méthodiste ou calviniste, le système pénitentiaire y prospérera, partout où il trouvera l'abri et l'appui des sentiments religieux; ce n'est que sous l'atmosphère du scepticisme et de l'athéisme qu'il ne saurait s'acclimater" (p.415). Suit alors un chapitre, intitulé "De l'éducation individuelle - de son but - de ses principes", où Lucas établit le parallèle entre "législateur pénitentiaire" et "législateur religieux", les deux fonctionnant selon les mêmes principes: crainte et intimidation - rémunération et espérance. Observons la lecture qu'en fait Foucault. Selon lui, il s'agirait ni plus ni moins de la "Déclaration d'indépendance carcérale" (250-251). D'une pensée imprégnée d'humanisme catholique, pleine de bonne volonté, Foucault ne voit qu'un projet quasi-machiavélique; et dans la page qu'il consacre à cette "Déclaration", le terme "religion" n'apparaît pas une seule fois([41]).

 

   Les choix métaphoriques de Surveiller et punir créent des points aveugles hautement significatifs. Insister sur l'élément chrétien dans la pensée pénitentiaire du XIXe siècle aurait exigé, de la part de Foucault, un effort argumentatif supplémentaire (une litote). Certes,  comme tous les cas déjà évoqués, celui-ci était, lui aussi, récupérable par les thèses de Foucault. Mais le prix en aurait été une pollution certaine de la démonstration.

   Or ce faisant, et c'est là le reproche majeur qu'on devrait faire à Foucault, le seul que, pour ma part, je lui ferai, il n'accorde aucun droit à la liberté à Faucher et à Lucas! Alors que s'il avait admis que le réel est un "conglomérat" de micro-ordres, il aurait aussi accordé une dose de liberté aux deux réformateurs qui ont pensé leurs projets à travers deux ordres discursifs à beaucoup d'égards incompatibles. La perspicacité qu'on ne pourrait leur refuser est née de cette rencontre..

 

   Estrangement. C'est dans cette notion que Hayden White, dans une importante analyse de Foucault, propose de voir la clef de la liberté foucaldienne (mes termes):

 

"Contrairement à l'historien conventionnel, qui est concerné par la clarification et de ce fait par la refamiliarisation de ses lecteurs avec les artefacts des cultures passées, Foucault cherche à défamiliariser les phénomènes humains, sociaux et culturels rendus trop transparents par un siècle d'étude, d'interprétation et d'une surdétermination conceptuelle. Foucault s'insère dans une tradition d'une pensée historique née du romantisme et relevée [...] par Nietzsche"([42]) -

 

Dans cette tradition, les Formalistes russes, et en premier lieu Viktor Chklovsky, théoricien de l'ostranenie, occupent une place de choix.

 

 

La performativité des métaphores: périodiser le présent

 

   Défamiliariser le passé, mais surtout rendre le présent (insupportablement) étrange! C'est à partir de l'année 1975, en effet, qu'il faudrait lire Surveiller et punir, de loin l'ouvrage le plus "performatif" de Foucault (How to do things with words). C'est lui qui l'autorise:

 

"Que les punitions en général et que la prison relèvent d'une technologie politique du corps, c'est peut-être moins l'histoire qui me l'a enseigné que le présent [...] C'est de cette prison, avec tous les investissement politiques du corps qu'elle rassemble dans son architecture fermée que je voudrais faire l'histoire. Par un pur anachronisme? Non, si on entend par là faire l'histoire du passé dans les termes du présent. Oui, si on entend par là faire l'histoire du présent"(p.35)

 

   Hubert Dreyfus & Paul Rabinow partent justement de ce passage pour expliquer l'ancrage dans le présent qui constitue une des originalités de Foucault: "Cette approche commence, de manière explicite et autoréflexive, par un diagnostic de la situation présente. L'orientation choisie est, sans équivoque ni hésitation, contemporaine([43])". En faisant intervenir une analyse du passé dans les enjeux du  présent, Foucault répond une fois de plus au défi lancé par Nietzsche dans sa Seconde considération intempestive: De l'utilité et de l'inconvénient des études historiques pour la vie (1874)  - ou comme Nietzsche dit ailleurs: "A force de vouloir rechercher les origines, on devient écrevisse. L'historien voit en arrière, il finit par croire en arrière"([44]).

 

   Revenons, une dernière fois, aux choix métaphoriques de l'ouvrage. Ils sont normativement marqués: l'organique, quand il est opposé au mécanique, a d'emblée des connotations positives, comme en ont les autres termes de la colonne "rituelle" face à ceux de la colonne "technico-économique"; tout comme le chaud opposé au froid (le dionysiaque vs. l'apollinien).

   Surveiller et Punir, et à bien des égards L'Histoire de la folie et Naissance de la clinique, semblent ainsi s'inscrire dans une longue tradition de voir l'Autre comme plus organique que le Soi. En mythologie comme en anthropologie et en histoire, on tend à raconter l'histoire humaine comme un long, inévitable processus d'aliénation (de désharmonisation avec la nature, Dieu(x), la société, soi-même). La dissymétrie conceptuelle confirme ce constat. Tout se passe comme si la relative pauvreté du champ rituel, et la grande richesse du champ techno-économique, reflétaient les besoins successifs d'une situation simple et d'une situation complexe; cela confirme l'impression d'un champ rituel métonymique, donc organique au réel, opposé à un champ technologique, métaphorique, qui lui est complètement plaqué. La vision discontinuiste de Foucault rend ce jeu plus problématique encore. J'en relèverais deux signes. I.L'emploi du terme "nouveau" sans qu'il y ait d'"ancien"; exemples: "nouvelle technique/gestion", p.162; "nouvelle technique", p.159, "nouvelle mécanique", p.179, "nouvelle économie", pp.83, 149). II. L'absence d'antonyme de la notion de "rationalité" (cf. p.276), si capitale pour l'analyse de la Phase B.

   Foucault ne serait-il pas piégé lui même par cette charge émotive par lui créée? Cela expliquerait le caractère autre du chapitre sur l'examen (pp.186-196), îlot cérémonial dans une mare technico-économique. En dix pages consacrées à l'examen, Foucault fait dix-sept fois appel à "rituel" et à "cérémonie" - contre dix-huit emplois de "technologie", "mécanisme", "rouages", "calculable", "investissement"; alors que dans les cent pages qui précèdent, la Phase B est presqu'exclusivement décrite à travers la terminologie économico-technologique. Du coup, la charge "positive" de la Phase A investit la Phase B, ce qui donne la conclusion suivante:

 

"Il faut cesser de toujours décrire les effets du pouvoir en termes négatifs: il , il , il , il , il , il , il . En fait le pouvoir produit; il produit du réel; il produit des domaines d'objets et des rituels de vérité. L'individu et la connaissance qu'on peut en prendre relèvent de cette production"(196).

 

   Une bonne partie de l'ambiguïté du livre réside, selon moi, dans la charge de ses métaphores. Il ne fait pas de doute qu'une positivité marque l'organisme, une négativité, la machine (surtout dans l'après-1968). La déshumanisation de la société, qui passe par l'oppression technologique (et économique), l'anonymat-même de cette oppression, rendent presque sympathique - humaine - la Phase A, festive, rituelle, théâtrale. Et surtout, l'histoire a prouvé qu'on "pouvait s'en sortir"...; au contraire ce qui caractérise la Phase B, on l'a vu, est sa "tautologie": elle se nourrit de tout, même de ses contestataires (ce qui rappelle le monstre dans le Sous-marin jaune des Beatles (Geroge Dunning, 1968), qui, ayant tout avalé, s'avale lui-même([45])).

   Mais Surveiller et punir n'est pas adressé aux Français de 1757, ce n'est donc pas leur présent qu'il cherche à rendre, d'abord étrange, ensuite insupportable, mais le nôtre. Il y a là une invitation à agir. Rappelons que l'expérience déterminante de Michel Foucault dans les débuts des années 1970 fut le G.I.P. (Groupe d'Informations Prisons), qui s'est éclipsé devant la parole des prisonniers (le C.A.P., Comité d'Action des Prisonniers), avant de s'auto-dissoudre en 1974 ([46]); Le livre de 1975 pourrait être lu comme une interrogation rétrospactive et cruelle sur la possibilité de l'action, même intellectuelle, face à une "machinerie sans machiniste", si paralysante, si désespérante?

   Se pose à nouveau le problème de la liberté n'cessaire pour sortir de l'ordre. J'en verrais l'issue dans un autre champ connotatif des métaphores de Foucault. Affectivement, on l'a dit, la positivité est du côté de l'organisme, la négativité, du côté de la machine. Mais éthiquement - selon une philosophie qui voit dans le Vouloir la valeur suprême -, la charge s'inverse, le "plus" passe du côté de la machine, le "moins", du côté de l'organisme. En relisant Surveiller et punir, on s'aperçoit en effet que non seulememnt la Phase A, n'a pas d'auteur, elle ne peut pas en avoir; parler de projet/programme/tactique/ stratégie/calcul cérémonial du supplice n'aurait pas de sens. Cette phase remonte "à la nuit des temps", elle est pour ainsi dire "consubstantielle" à l'Homme (en cela, Foucault rejoint la thèse de Nietzsche, selon qui un stock de procédés de faire souffrir, relativement stable, aurait précédé leurs finalités; Généalogie de la morale, II, 12-13). Or même si Foucault, en bon structuraliste, se refuse d'attribuer la Phase B à une intentionnalité quelconque, le livre, en inventoriant discours et projets, donne quand même l'impression que nous évoluons, à présent, dans un système qui est l'oeuvre de l'homme comme sujet voulant. On peut même dire qu'en ce domaine, on est passé, vers 1760, de l'ère anthropologique à l'ère historique - ce qui, en 1975, correspond à l'opposition entre immuable et changeable. En d'autres termes, comparés à l'"organique", au "rituel", au "liturgique" - le "machinique", le "technologique", l'"économique" laissent beaucoup plus entrevoir la main de l'homme. Ce que l'homme a fait, semble dire Foucault sans évidemment le dire, l'homme peut le défaire.

 

 



([1]) Paris, Gallimard, 1975. Les renvois paginés sont à cette édition.

([2]) Michel Foucault, "Des supplices aux cellules", interview dans Le Monde, 21 février 1975.

([3]) Jacques CHEVALIER, "Le continu et le discontinu", Cahiers de la nouvelle Journée, "Continu et Discontinu", No15, 1929 (1924), pp.7-29 (citation p.7).

([4]) Michel Foucault, L'Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p.13.

([5]) Ibidem, p.16.

([6]) Op.cit., p.160.

([7]) Sur ce terme, et sur la division de l'historiographie en "histoire antiquaire - histoire monumentale - histoire critique", voir Friedrich NIETZSCHE, Seconde considération intempestive. De l'utilité et de l'inconvénient des études historiques pour la vie, Traduit par Henri ALBERT, Paris, Flammarion, 1988 (1874); distinction historisée par Arnaldo MOMIGLIANO dans son article classique, "L'histoire ancienne et l'Antiquaire", in Problèmes d'historiographie ancienne et moderne, Paris, Gallimard, 1983(1950), pp.244-293; voir aussi Moses I. FINLEY, The Use and Abuse of History, Londres, Chatto & Windus, 1975, et l'entrtetien de Finley avec François HARTOG, dans Finley, Mythe, mémoire, histoire. Les usages du passé. Paris, Flammarion, 1981, pp.253-265.

([8]) Paris, Gallimard, 1975. Les renvois paginés sont à cette édition.

([9]) Terme qui, si je ne m'abuse, n'apparaît qu'une seule fois dans Surveiller et punir, p. 312.

([10]) Max BLACK, Models and Metaphors, Ithaca, Cornell U.P., 1962; Stephen E. TOULMIN, The Philosophy of Science: An Introduction, Londres, N.Y., Hutchinson's University Library, 1953; Douglas BERGGREN, "The Use and Abuse of Metaphor", Review of Metaphysics, Volume 16, I (décembre 1962), II (mars 1963), pp.237-258 et 450-472; Mary B. HESSE, "The Expalantory Function of Metaphor", in Logic, Methodology and Philosophy of Science, éd. Par Y. BAR-HILLEL, Amsterdam, 1965, et HESSE, Models and Analogies in Science, Univerisity of Notre Dame Press, 1966, 1970; Paul RICOEUR, La métaphore vive, op.cit.

([11]) Sur cet aspect, voir George LAKOFF & Mark JOHNSON, Metaphors We Live By, Chicago, Chicago University Press, 1980; traduit en français sous le titre Les métaphores de la vie quotidienne, Paris, Minuit, 198 .

([12]) Les autres cas: "rationalité" (276), "anatomie politique" (139,223), "mécanique" (140), "machinale" (223), "fabrique" (172), "inventions techniques" (179), "technologie" (225).

([13]) Adi Ophir propose une lecture de quatre cases, les trois qu'on vient de citer et une quatrième , réflexive, occupée par Foucault lui-même, "The Semiotics of Power: Reading Michel Foucault's Discipline and Power", à paraître dans Manuscrito.

([14]) Jacques Léonard, "L'historien et le philosophe. A propos de Surveiller et punir. Naissance de la prison", in L'Impossible prison: Recherches sur le système pénitentiaire au XIXe siècle, Réunies par Michelle PERROT, Paris, Seuil, 1980(1976), pp.9-28.

([15]) Michel FOUCAULT, "La poussière et le nuage", ibid, pp.29-39 (ciatation pp.37-38).

([16]) Sur le discours indirect libre, il existe une bibliographie abondante. Pour un aperçu de la question, voir Brian McHale, "Free Indirect Discourse: A Survey of Recent Acount", PTL 3 (1978), pp. 249-287, et les écrits, selon moi définitifs, de Menachem Perry sur la question.

([17]) Cela dit, le discours mixte est inévitable: toute traduction l'est, toute citation aussi. En histoire, la plupart des cas d'anachronisme impliquent, pour les termes employés, une certaine ambiguïté quant à la question "qui en est l'auteur?". Il faudrait donc distinguer les usages plus ou moins "innocents" du discours mixte, de ses usages sciemment stratégiques. Sur le "discours mixte" en anthropologie, voir Dan SPERBER, "Ethnographie interprétative et anthropologie théorique", in Le Savoir des anthropologues, Paris, Hermann, 1983, pp.13-48.

([18]) A M. Bellecour Père, le 17 mai 1838, in L. Faucher, Correspondance, Tome I, p.72.

([19]) Revue des Deux Mondes du 1er février 1844, pp.

([20]) Ibidem, p.402.

([21]) L. Faucher, La réforme des prisons, op.cit., pp.263-273, citation p.263.

([22]) L.-M. Moreau Christophe, De la réforme...,op.cit., p.489.

([23]) L. Faucher, De la réforme..., op.cit., p.6.

([24]) Ibidem, p.64.

([25]) On emprunte ce titre à l'importante préface de Pierre Vidal-Naquet à Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs, Paris, Minuit, "Arguments", 1977.

([26]) Je remercie Mario Biagioli d'avoir attiré mon attention sur la tonalité de magistrature de mon texte.

([27]) Pour un aperçu de la question, voir le numéro spécial, "Theory of Translation and Intercultural Relations", Poetics Today, V 2, Ne4 (été/automne 1981), en particulier les contributions de Itamar Even-Zohar et de Gideon Touryu.

([28]) Saint Augustin, Les Confessions, III,3.

([29]) J. Chevalier, op.cit.

([30]) Et pourtant, les sciences exactes, physiques et de la vie ne font pas l'économie de cette question, sous prétexte de sa métaphysique. Il s'ensuit que la quasi-totalité de la littérature sur la question concerne les sciences, et ceci depuis Aristote, alors que rien, ou presque, ne traite de l'histoire. Pour rester dans la terminologie de Popper, il s'agit là d'un problème de démarcation: l'histoire a besoin de prouver sa scientificité, d'où sa réserve métaphysique, alors que les sciences sont plus que rassurées de ce côté.

([31]) Louis de BROGLIE: "La lutte entre la conception continue et la conception adverse s'est poursuivie en physique pendant des siècles avec des péripéties diverses, chacune des deux remportant tour à tour des succès et aucune des deux ne parvenant à triompher de l'autre. Il n'y a rien là qui doive surprendre le philosophe, car l'évolution des doctrines dans toutes les régions de l'activité intellectuelle lui montre que les concepts du continu et du discontinu poussés à l'extrême et opposés l'un à l'autre sont impuissants à traduire la réalité, et que celle-ci exige toujours une fusion subtile et presque indéfinissable des deux termes de cette antinomie", "Continuité et individualité dans la physique moderne", in Cahiers de la nouvelle Journée, op.cit., pp.59-79 (citation p.59).

([32]) Ibid, p.158; Foucault développe cette idée dans un autre texte programmatif: "Nietzsche, Freud, Marx", in Nietzsche, VII colloque de Royaumont, 4-8 juillet 1964, Minuit, 1967, pp.183-192.

([33]) Norman KRETZMANN, "Continuity, Contrariety, Contradiction, and Change", in Infinity and Continuity in Ancient and Medieval Thought, Ed. Kretzmann, Ithaca, Cornell University Press, 1982, pp.270-296.

([34]) Op.cit.

([35]) Op.cit., pp.47-60.

([36]) Paul FEYERABEND, Contre la méthode. Esquisse d'une théorie anarchiste de la connaissance, Paris, Seuil, 1979 (1975).

([37]) Sur cette devise énigmatique, voir l'exégèse de Jacques-Alain Miller, "Sur la leçon des psychoses", Actes de l'Ecole de la Cause freudienne, juin 1987, pp. 142-147.

([38]) F. Nietzsche, La Généalogie de la morale, Trad. H. Albert, Paris, Gallimard, "Idées", 1964, II, 10.

([39])  F. Nietzsche, La Généalogie de la morale, II,2.

([40]) Je dois cette image à Giovanni Levi

([41]) Ici, mais pas seulement ici, Foucault adhère au jugement tranchant de Moreau-Christophe, hostile à tout rapprochement entre le religieux et le politique, en prison et ailleurs (De la réforme des prisons, pp.484-488). Moreau-Christophe était-il plus représentatif de la pensée pénitentiaire de l'époque que Faucher et lucas? Rien ne permet de l'avancer.

([42]) Hayden White, "Foucault Decoded: Notes from Underground", History and Theory 12, N 1 (1973), repris in Tropics of Discourse. Essays in Cultural Criticism, Baltimore, Johns Hopkins U.P.,1978, pp. 230-260 (citation p.236); il est significatif que le titre de l'article de White fait appel au livre le plus nietzschéen (avant la lettre) de Dostoevsky.

([43])Hubert Dreyfus & Paul Rabinow, Michel Foucault: Un parcours philosophique, Paris, Gallimard, 1984(1982), pp.174-175.

([44]) Le Crépuscule des idoles, maxime 24 (je dois cette référence à François Hartog, Le XIXe siècle et l'histoire. Le cas Fustel de Coulanges, P.U.F., 1988)

([45]) C'est ainsi que Cernysevsky analyse le pouvoir despotique ts ariste dans Que Faire? (1862); et voir l'excellente analyse qu'en propose Claudio-Sergio Ingerflom, Le citoyen impossible. Les racines russes du léninisme, Paris, Payot, 1988, pp.65-107.

([46]) Pour plus de détails, consulter Didier Eribon, Michel Foucault, Paris, Flammarion, 1989, pp.243-248.

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