Trahir le temps: 3 ... et la Révolution créa le siècle

 

 

...ET LA REVOLUTION "CREA" LE SIECLE

 

   Je pensais le sujet "siècle" vierge, il ne l'était qu'en partie. En France, hormis les quelques remarques suggestives de Marc Bloch et de Jacques Le Goff, les historiens n'ont point prêté d'attention au siècle. En Allemagne, en revanche, il a souvent intrigué les historiens de la littérature et de la philosophie - et surtout les dix-huitiémistes. C'est à leurs travaux érudits que nous devons un historique du siècle, en premier lieu à la thèse de Johannes Burckhardt([i]).

 

   On apprend ainsi que, malgré l'origine classique du mot saeculum, le découpage de l'histoire en siècles est étonnamment récent. On le doit à Mattias Illyricus Flacius et son équipe d'érudits protestants, justement appelés les "Centuriateurs de Magdeburg", rédacteurs de l'Histoire ecclésiastique publiée à Bâle entre 1559 et 1574. Les treize volumes de ce gigantesque ouvrage couvrent les treize premiers siècles de l'Eglise, à chaque volume correspond un siècle. La réplique officielle de Rome à cette oeuvre polémique, l'Histoire ecclésiastique (Anvers, 1589-), du cardinal Cesare Baronius, adopte la même technique, quoique moins systématiquement. Véhiculé par les deux grandes histoires chrétiennes, l'existence du siècle semblait assurée. Et pourtant, il gardait toujours ses deux sens d'origine, non-chronologiques: 1) "ce monde", lié à "séculier" (le "siècle" opposé à "l'au-delà" et au "couvent"), et 2) un "âge", c'est-à-dire une période indéfinie, comme dans la définition proposée par l'Encyclopédie de Diderot: "On sait que le mot de siècle ne prend ici qu'une manière vague, pour signifier une durée de 60 ou 80 ans, plus ou moins. Voy AGE" (la référence au Siècle de Louis XIV de Voltaire est explicite).

   Il existe pourtant suffisamment d'exemples d'un usage strictement chronologique du siècle pour que ses historiens arrêtent leurs enquêtes à la fin du XVIIIe siècle (avec une exception notable, la "Reihe der Jahrhunderte" de Léopold von Ranke). Autrement dit, selon ces chercheurs, les jeux ont été faits là, précisément, où je propose de voir leur véritable commencement: la Révolution française!

 

   Des amis, connaissant mon obsession "séculaire", se sont fait le plaisir et le devoir de dénicher des précurseurs au "siècle" bien avant Flacius. En voici les résultats: une référence en moyenne par siècle (et par année de recherches faites au hasard des lectures). Citons cet "unde et in hoc XIIIe centenario Christi incarnati" de Pierre de Jean Olivi (fin XIIIe siècle); une lettre de l'humaniste florentin Coluccio Salutati qui parle de deux poètes qui ont fait briller le "quartodecimo seculo" (30 août 1400); un manuscrit obscur de Gilles de Viterbe intitulé "Historia XX saeculorum" (XVIe siècle). En 1600, on signale un passage qui rappelle l'emploi de "siècle" qu'on privilégiera ici, tiré du livre du prêtre bolonais G.M. Artusi: "L'aube du dix-septième siècle venait de se lever quand le Signor Luca quitta sa demeure..." (1600)(([ii]). (On aura noté l'origine italienne de ces "précurseurs" - il serait en effet utile de faire l'histoire du découpage en "...cento" en histoire de l'Italie). Mais l'argument que je défend n'implique pas l'impossibilité d'imaginer un découpage de l'ère chrétienne en tranches de 100 ans, ce qui serait aberrant, mais l'incapacité à faire un usage raisonné d'une telle invention avant la Révolution française; ce qui la condamne, à terme, à la disparition, faute de relais. Versons à ce "dossier" le cas de Martin le Polonais qui invente, dans sa Chronique des papes et empereurs(1265-1278), "une mise en pages astucieuse qui permettait une consultation rapide: chaque page [...] évoquait cinquante ans d'histoire, à raison de 50 lignes par pages"([iii]). Mais Martin n'a pas abouti au siècle; car si le manuscrit montre cent ans, il ne les nomme pas; de même, le point de départ de la Chronique n'est pas l'Incarnation; et, point décisif, les copistes ont vite abandonné cette mise en page, comme si celle-ci n'éveillait aucune résonance chez les historiens médiévaux.

 

 

POURQUOI LA REVOLUTION ?

 

   Deux séries d'indices confortent l'hypothèse de l'émergence du siècle au moment de la Révolution, l'une factuelle, l'autre quasi-déductive.

 

   Commençons par la plus classique, issue du sondage des titres des ouvrages publiés, en France, entre 1680 et 1810([iv]). Le terme même de "siècle" y est rare jusqu'en 1798 - et inexistant dans son acceptation rigoureusement chronologique; a fortiori le terme "XVIIIe siècle", à deux exceptions près ([v]). Et même si trois, quatre titres nous ont échappé, le constat demeure.

   A partir de 1799, plus besoin d'enquêtes bibliographiques poussées pour repérer le siècle([vi]). Nicolas-Toussaint-Moyne Desessarts (1744-1810), le grand compilateur, des crimes d'abord, des oeuvres de l'esprit ensuite, publie en cette année ses Observations et jugements sur les romans français, avec l'indication des meilleurs romans qui ont paru, sur-tout pendant le dix-huitième siècle; en 1800, il publie deux nouveaux ouvrages où le terme "dix-huitième siècle" figure dans le titre. En 1800 toujours, Jean-Blanc de Volx publie un Coup d'oeil politique sur l'Europe à la fin du dix-huitième siècle, Charles-Jean-Auguste-Maximilien de Colnet du Ravel et un Recueil des satiriques du 18e siècle, et une satire intitulée La fin du 18e siècle, très hostile aux Lumières et à la Révolution. En 1801, on décompte cinq titres, dont celui d'un auteur autrement plus célèbre que les autres, le vicomte Louis-Gabriel-Ambroise de Bonald (1754-1840): Du Divorce au XIXe siècle relativement à l'état domestique et à l'état public de la société. On repère cinq nouveaux titres au moins en 1802. En 1804 enfin, l'Institut lance le concours du Tableau littéraire de la France au XVIIIe siècle.

 

   Même constat en Allemagne , où le siècle qui s'achève comme celui qui s'annonce font l'objet de nombreuses publications([vii]). Wilhelm von Humboldt écrit Le Dix-huitième siècle en 1796. En 1801, Herder, 1744-1803, lance Adrastea, revue  entièrement consacrée au bilan du siècle écoulé; et Schiller écrit une élégie intitulée "Der Antritt des neuen Jahrhunderts": "Le siècle nous a quittés dans l'orage; le nouveau s'ouvre par le meurtre [de l'empereur Paul Ier de Russie, le 23 mars 1801]. Le lien des nations est brisé, les vieilles formes s'écroulent"([viii]). Et le siècle fut!

 

 

   Ce n'est pourtant pas dans l'accumulation des références qu'on parviendra à imposer une hypothèse que certains faits "bruts" contredisent. Changeons de tactique. Aux questions inductives: Qui fait appel au siècle? Quand? Quels sens a le terme à une date donnée? -, on substituera des questions fonctionnalistes: A quoi pourrait bien servir le siècle à divers moments historiques?  Et à une interrogation "archéologique", qui part de la centuria et du saeculum latins, on préférera l'interrogation "généalogique", qui sonde le passé munie des grilles du présent, celle de notre XXe siècle, de nos seiziémistes.

   En réalité, l'hypothèse selon laquelle la Révolution "créa" notre siècle a eu ici une origine déductive, elle précéda toute recherche empirique. L'"ère de la Passion" rendait étrange un découpage arithmétique qui crée des unités cohérentes et en opposition l'une par rapport à l'autre. Or depuis 1560, de tous les tournants de siècles, il n'y avait que le passage du XVIIIe au XIXe siècle qui donnait des raisons d'être vécu, et à échelle universelle, comme le passage d'une unité à l'autre 

 

   Dans Renaissance and Renascences in Western Art, l'ouvrage qui demeure, à mes yeux, la plus importante contribution en "Periodisierung", Erwin Panofsky examine, pour la réfuter, l'existence de toute autre "renaissance" que celle qui commença en Italie vers la fin du XIVe siècle. Le critère qui prime, dans son argumentation, est la conscience des contemporains de vivre une période foncièrement différente de celles qui la précèdent: "En contrast avec les diverses "renaissances" médiévales, cette Reniassance se résume à ceque les biologistes appeleraient mutation opposée à évolution: un changement à la fois abrupt et permanent"([ix]). On a jamais assisté à une prise de conscience aussi immédiate de la cassure entre l'avant-et-l'après que pendant la Révolution française, à l'image de ce mot si souvent cité de Goethe à Valmy qui, même "faux", n'en est pas moins emblématique de l'effet qu'a produit la Révolution sur les contemporains: "De ce lieu et de ce jour date une nouvelle époque dans l'histoire du monde, et vous pourrez dire: J'y étais"([x]). Reinhart Koselleck, dans sa belle analyse de l'émergence de la notion de "Neuzeit", arrive exactement au même constat, savoir qu'"autour de 1800" le présent s'arrache pour ainsi dire du passé, même récent; comme écrit Wilhelm von Humboldt, en 1796: "Notre époque apparaît mener d'une période, qui s'achève, à une autre, non moins différente. [...] Qui compare, même superficiellement, l'état présent des affaires avec celui d'il y a quinze ou vingt ans ne niera pas qu'il existe en cette période une plus grande dissimilitude qu'en une période deux fois plus longue au début du siècle"([xi]). Pour jouer sur les termes, on dira que, pour la première fois, le tournant du siècle est vécu comme un tournant tout court. L'argument est même double. La nouveauté, en France du moins, n'est pas seulement dans la conscience de la rupture, mais aussi dans sa légitimité politique. Pour mieux apprécier ces deux aspects, une comparaison entre 1700 et 1800 s'impose.

 

   A. Conscience: "Laquelle, des deux années 1700 ou 1701 est la première du siècle".

   Cette question, méconnue, bien entendu, autour de 1600, a suscité un intérêt certain vers 1700. On a ainsi recensé onze brochures, la plupart anonymes, publiées en 1699-17OO, qui se la posent([xii]). Or il s'agit toujours d'un débat technique, dépandant d'une sorte d'"art de vérifier les dates" avant la lettre. L'idée que le commencement d'un siècle puisse correspondre à une nouvelle ère n'effleure même pas les esprits de ces auteurs([xiii]). Le seul qui s'en approche est Claude Mallement de Messange (1653-1723), mais dans un registre complètement étranger à celui qui nous occupe ici; il y est en effet question du Jubilé:

 

"Parce que pour bien commencer le siècle, il faut le commencer dans la pureté et dans la grâce de Jésus-Christ: il faut donc que le jubilé nous ait déjà purifiés avant que de le commencer; par conséquent il faut qu'il en ait précédé le commencement; car si le jubilé ne commençoit qu'avec le siècle, il n'auroit pas eu le tems de nous nettoyer avant que de le commencer: ainsi nous le commencerions dans nos ordures, ce qui seroit sanbs doute une entrée peu sainte et une mauvaise disposition à ce tems nouveau"([xiv]).

 

   En effet, si le siècle n'occupe qu'une place dérisoire dans la production littéraire de ces années, le Jubilé de 1700 suscite des dizaines de textes - et de sermons des plus grands prédicateurs: Bossuet, Bourdaloue, Fénelon([xv]); mais du Jubilé au siècle, rares sont ceux qui ont franchi le pas - entre autres, parce que le jubilé se produirait au moins un tous les vingt cinq ans... En 1300,  quand le pape Boniface VIII instaure le Jubilé, l'Année Sainte, on les prévoit tous les cent ans - c'est aussi en cette année 1300, "Au milieu du chemin de notre vie"(Enfer, I,1), que Dante, pélerin à Rome, effectue sa descente en Enfer([xvi]); mais vers 1345, l'entourage de Clément VI, parmi lequel se trouvent Pétrarque et sainte Brigitte de Suède, persuade le pape de réduire l'intervalle jubilaire à 50 ans; en 1389, il passe à 33 ans; et en 1468, à 25 ans - l'Eglise catholique ratant ainsi une occasion unique d'"inventer" le siècle avant Flaccius([xvii]).

 

   Or en 1800, précisément, on ne célèbre pas de Jubilé. Rappelons que le pape Pie VI meurt prisonnier des Français en 1799, et que Pie VII, élu à Venise le 14 mars 1800, a d'autres préoccupations (en particulier les tractations avec Bonaparte qui, aboutissant au Concordat en 1802, lui donneront l'occasion de proclamer un Jubilé spécial pour les Français). Par ailleurs, la question du commencement du siècle cesse d'être purement technique. Dans un texte d'un certain C.A.B. Pinière, publié à Paris en Germinal An VIII (avril 1800), précisément, et intitulé Le Siècle. Satyre, on lit:

 

"Faites vaincre les moeurs, la raison et les arts,

Que ce siècle qui s'ouvre à nos regards,

Des malheurs de nos jours effaçant la mémoire,

Par vos efforts unis, nous rende enfin la gloire"(p.19)

 

   Une autre oeuvre précise encore cette nouvelle perception: Dans quel siècle sommes-nous?, vaudeville en un acte par les citoyens Michel Dieulafoy, Victor-Joseph de Jouy (futur académicien) et Charles de Longchamps, représentée pour la première fois sur le Théâtre de Vaudeville le 25 nivôse An VIII (15 janvier 1800). L'Avant-Propos fait le point:

 

"L'année 1800 appartient-elle au dix-huitième siècle, ou bien est-elle le commencement du dix-neuvième? Tel est la question qui a agité tout Paris au commencement de cette année; la chaleur qu'on a mise à cette incroyable querelle; la bizarrerie des arguments dont on s'est servi pour la soutenir, et la bonté qu'ont eu certains journaux de renchérir sur les sottises d'autruis en y ajoutant les leurs, ont fini par donner à cette dispute une telle importance, qu'il n'a fallu rien moins que la voix des savans pour imposer silence aux partis, et prouver à Paris étonné, que dix-huit n'est pas dix-neuf.

   Malgré cette décision, nous ne voudrions pas jurer que tout le monde soit encore bien d'accord sur ce point. Des mémoires de 1700, nous apprennent que la même querelle a eu lieu il y a cent ans parmi les beaux-esprits de la capitale"

 

   Le texte, ironique, révèle pourtant des idées qui circulent dans Paris en cette année cruciale. En voici quelques extraits:

 

"En France au siècle dix-neuvième,

Plaisirs naissent de toutes parts,

On boit, on chante, on rit, on aime,

Le luxe ramène les arts.

L'état par un bras tutélaire,

A premier rang est ramené.

[...]

Avec le siècle doivent naître

Les grands talens, les bonnes moeurs,

L'intrigue n'ose plus paraître,

La franchise est dans tous les coeurs.

Dans ce siècle point de libelles,

Oubli général du passé

[...]

J'observe, j'observe que si cette opinion-là passe, on dira que je suis une femme de l'autre siècle, et c'est ce que je ne souffrirais pas"(pp.26-27).

 

"Je vois que du siècle où nous sommes,

Lassé de compter les malheurs,

Vous vous figurez que les hommes,

Dans un autre seront meilleurs.

Revenez d'une erreur étrange,

Et soyez bien sûr qu'ici-bas,

C'est en vain que le siècle change,

Les hommes ne changent pas."(p.48).

 

 

   B. Légitimité: Comment couper le Siècle de Louis le Grand?

 

   Ainsi, le rapprochement proposé par les auteurs eux-mêmes ne fait que mettre en évidence le fossé qui sépare 1800 de 1700: le lieu commun qu'il faut combattre en le ridiculisant en cet an I de Bonaparte, était impensable, ou plutôt inacceptable, en plein Siècle de Louis XIV. Car certains ont célébré 1700, j'en ai trouvé trois spécimens.

 

* M.L.P. Le Siècle. Idile.([xviii]). On y trouve, certes, des idées qui ne sont pas sans rappeler Le Siècle. Satyre. de Pinière (1800, supra): "Siècle finissez vostre cours/ Et faites, s'il se peut, place à de plus beaux jours"(p.1), ou, en conclusion, "Siècle vous finissez, un autre vous succède/ Puisse-t-il estre plus heureux"(p.12). Un texte pessimiste, donc, qui va même jusqu'à prophétiser: "Et le tour qu'on prend nous menace/ D'un siècle encore plus pervers"(p.3). Mais il ne peut aller au bout de sa logique sans se compromettre. Le voici condamné à faire l'éloge de son siècle, de son monarque, ce qui le met dans l'impossibilité de couper le règne en deux:

 

"Malgré tous les malheurs qu'on peut vous reprocher,

Je ne veux pourtant rien cacher

De ce qui sert à vostre gloire,

Tous vos jours ne sont pas indignes en mémoire[...]

La France nous en [de grands hommes] a donné de toute espèce

Sous le plus sage de ses Rois;

Jamais ni Rome ni la Grèce

N'en ont tant fait voir à la fois.

Le Ciel qui vouloit faire naistre

Le plus grand de tous les humains,

Pour servir à sa gloire avoit dans ses desseins

Ces hommes si fameux que l'on a vû paroitre"(pp.1-2).

 

* Le Père Jean-Antoine Du Cerceau, Le Destin du nouveau siècle([xix]). L'Argument de cette petite pièce indique déjà son a historicité: "La fin du siècle présent, à laquelle nous touchons presque, et l'ouverture d'un nouveau, où nous allons bien-tost entrer, ont donné occasion au sujet qu'on a pris pour la matière de ces intermèdes, à l'imitation des Jeux séculaires, que les Romains avoient coûtume de célébrer à la fin de chaque siècle". De fait, les personnages de la pièce s'appellent Saturne, Mars, Pallas, etc. Pourtant, dans cette pièce jouée au Collège de Louis le Grand, le Roi Soleil est bel et bien présent: "Unissons nos coeurs et nos voix/ Pour chanter le plus grand des Rois"(p.7). Il s'agit en effet d'un texte bien ancré dans son siècle qui a, pour thème, la dispute entre le parti de la paix et le parti de la guerre.  "Un Héros glorieux après mille conquestes/ Nous a donné la paix./ Il a scû mépriser les palmes toutes prestes/ Que Mars luy destinoit pour de nouveaux projets"(p.5) - or la France vient de signer, en 1697, le Traité de Ryswick. Il faut comparer ce texte au Tableau littéraire de la France au 18e siècle d'Eusèbe Salverte (1809), qui ose, lui, couper le règne de Louis XIV à Ryswick précisément:

 

"Le grand siècle venait de finir. Il avait vu pâlir l'éclat éblouissant qui lui assure l'immortalité, quand le traité de Ryswick signale le déclin de notre ascendant politique sur l'opinion de l'Europe; les Français n'étaient plus qu'un peuple, Louis XIV n'était plus qu'un roi". Suit alors ce passage déjà cité: "Ne serait-on point fondé à croire que la division des siècles n'est pas arbitraire; qu'elle est tracée par le système de numérotation des hommes, bien moins que par la main puissante de la destinée..."([xx]).

 

Et si Du Cerceau conclut par une heureuse synthèse: "La paix a mille charmes/ On est souvent contraint de recourir à Mars,/ Aimez les armes/ Cultivez les arts" (p.22), il ne va évidemment pas jusqu'à annoncer le nouveau siècle démarqué du précédent - prudence politique oblige([xxi]).

 

* Anon., Oraison funèbre du dix-septième siècle([xxii]). Cet opuscule de 45 pages, trouvé par hasard, m'a causé, pourquoi le cacher, une bien mauvaise surprise. Selon mes hypothèses, il était aussi impossible de penser son XVIIe siècle comme unité cohérente que d'être athée au XVIe siècle (?). Et pourtant, l'auteur est on ne peut plus explicite:

 

"Je me vois engagé par les Règles de mon art à chercher le vrai caractère de mon sujet, et à déméler le dix-septième siècle d'avec les autres[...] Ne me ditez pas qu'il en est de chaque siècle; Celuy dont nous parlons est tout singulier: Et comme c'est sur cette singularité que je veux fonder son Eloge, je remarque d'abord qu'à juger des choses par les discours de la plus part des gens, on diroit que le Siècle passé faisoit une époque à part, qu'il étoit comme le centre de tous ceux qui l'avoient précédé, et de tous ceux qui devoient le suivre; destiné pour fixer la perfection des uns et des autres, pour surpasser les premiers, et être la Règle des derniers: que comme jusqu'à luy rien n'avoit été fini et achevé, après luy rien ne seroit nouveau. Sur ce principe vous allez voir que dans le dix-septième siècle, on a trouvé, où l'on prétend avoir trouvé le secret admirable de rendre excellent ce qui étoit bon, et de rendre bon ce qui étoit mauvais"(pp.8-9).

 

   Un texte ne pourrait démolir une thèse, surtout si il s'agit d'un ouvrage confidentiel et sans lendemains. Son existence pose pourtant un problème: comment cela se fait-il qu'on se propose de découper l'histoire de France en plein règne de Louis XIV; pire: qu'on ose annoncer le Siècle de Louis le Grand révolu dès 1700? Le long paragraphe qu'on vient de citer contient déjà quelques éléments de réponse; en particulier cet "où l'on prétend avoir trouvé" ironique. Une lecture plus poussée résout l'énigme.

   Notons d'abord l'exergue, significativement tiré de Isaïe 46, verset 9: "Souvenez-vous du Siècle passé"; traduite très librement - l'hébreu dit: "Souvenez-vous des premières [choses] du monde", le latin, Recordamini prioris seculis([xxiii])) -, ce commandement suit une invective contre les criminels dont on ne tardera pas à connaître l'identité.

   Ensuite relevons l'approbation de publier, que l'auteur est allé chercher chez le Frère Bernard Lapeyre, Régent des Augustins, et chez le Frère J.-D. Vachery, Professeur de théologie de l'Ordre des FF Prêcheurs.

  On ne s'étonnera donc pas que les textes abondamment cités par notre anonyme toulousain ne soient point les "Classiques" français, mais les Ecritures; que l'institution de référence soit l'Eglise, et point la Monarchie; et que le "héros" en soit Jésus-Christ, alors que Louis XIV n'est jamais évoqué!

   On comprend alors mieux l'avis de l'imprimeur au lecteur: "Ce petit ouvrage n'est que l'essay d'un autre plus grand, intitulé Les Abus du Temps [que je n'ai pas réussi à repérer], où l'Autheur fait voir non plus par des Ironies et des Contreveritez, mais par des Raisonnements sérieux, la corruption également secrette et dangereuse qui s'est glissée parmi les Chrétiens"(p.45).

   D'où cette conclusion: "Consolons-nous, Mes Frères, le siècle que nous avons tant aimé a passé; Tout passera, nous passerons nous-mêmes après luy. Cherchons donc un bonheur qui ne passe point: Et où le trouverons-nous, que dans le service de celuy qui vit et règne dans tous les siècles"(pp.44-45).

    En somme, le seul texte de 1700 dont l'usage du siècle est en apparence moderne, est foncièrement a historique, et retrouve, pour le réprouver, le sens premier de "siècle": "de ce monde". Autrement dit, cet Eloge funèbre du dix-septième siècle est en réalité un appel à renoncer au siècle...([xxiv])

    

            *                 *               *

 

   Récapitulons. Les contemporains de Voltaire, s'ils se savaient au XVIIIe siècle, ne se pensaient point du XVIIIe siècle. Le cadre chronologique qui définissait leur identité temporelle n'était point le siècle dans le sens moderne du terme([xxv]). Le chiffre 100, toujours présent dans les numérologies des civilisations humaines([xxvi]), a acquis une nouvelle dimension à la fin du XVIIIe siècle; la réforme métrique l'a rendu autrement plus visible qu'auparavant([xxvii]). De même, la Révolution a rendu plausible, voire recommandable des découpages a-référentiels du réel, dont le siècle, on l'a dit, paraît une sorte d'"idéaltype". Voici deux conditions qui, sans être  nécessaires, ni suffisantes pour l'éclosion de la pensée séculaire, rendent celle-ci possible, la favorisent même. Mais pour que cette possibilité se réalise, il fallait cette heureuse coïncidence de le Fin d'un Monde et de la Fin d'un Siècle; et la conviction profonde de vivre une rupture unique dans l'Histoire, entre deux entités cohérentes et incompatibles. Le siècle participe de l'intelligibilité de la rupture. Je distinguerai trois éléments de cette intelligibilité: Bilan, Comparaison, Causalité.

 

 

 

BILAN: couvrir la globalité, penser la discontinuité

 

   Le 23 janvier 1804 est réorganisé l'Institut de France  (l'Académie française, supprimée par la Convention en 1793 et remplacée en 1795 par l'Institut National). Moins d'un an plus tard, le 5 nivôse an XIII (26 décembre 1804), la Classe de la Langue et de la Littérature française décide de mettre au concours d'éloquence - le premier de cette Classe - un sujet au caractère inconnu jusqu'alors: Tableau littéraire de la France au XVIIIe siècle. Comme dit Roland Mortier, qui a étudié ce concours, "l'idée de faire, au tournant d'un siècle, le bilan d'un centenaire est déjà un phénomène curieux et nouveau dont on ne touve le précédent ni en 17OO, ni auparavant. Il semble que la Révolution d'une part, l'idée de mouvement historique d'autre part [...], aient suscité cette soudaine prise de conscience. Le fait est, de toute manière, que dès l'instant où le XVIIIe siècle bascule dans le passé, on s'interroge fiévreusement sur sa signification, sur ses apports et sur ses effets"([xxviii]).

   Sujet insolite, donc; mais que de réponses! L'Institut en a déjà enregistré six en 1805, dont celle d'Amaury Duval, un des directeurs de la fameuse Décade philosophique et littéraire. Le concours reconduit, ce sont vingt réponses qu'il faut alors juger. Celles-ci n'étant pas à la hauteur des attentes, on remet le prix en compétition, et la réunion du 20 janvier 1808 fait apparaître que dix-neuf discours avaient été déposés - dont celui de Prosper de Barante, qui, n'acceptant pas le verdict, publiera son Tableau en 1808. Peu satisfaite, la Classe remet le sujet une quatrième fois au concours; le 25 janvier 1809, on se penche donc sur un nouveau dépôt de dix-neuf manuscrits, on en retient trois dont "les auteurs seront invités à corriger et à perfectionner leurs ouvrages". Deux seront couronnés: Antoine Jay et Victorin Fabre, qui publient leurs ouvrages en 1810, le troisième, Eusèbe Salverte, ayant désespéré d'avance de ses chances, publie son Tableau dès 1809.

   D'autres candidats malheureux des concours successifs ont cru bon de publier leurs Tableaux. Mortier en a repérés six: Charles Picault et Jean-Geoffroy Schweighäuser en 1807, Jean-Baptiste Gallois de la Bastide en 1808, la marquis Frédéric-Gaëtan de la Rochefoucauld-Liancourt et Vialart de Saint-Morys en 1809, et A.J.B. Bouvet de Cressé en 1810. Ce qui donne la récolte impressionnante de dix Tableaux en trois ans, tous sortis du sujet proposé par l'Institut.

   D'autres hommes de lettres, bien plus marquants, ont été tentés, à des degrés divers, par ce concours. Joseph Joubert est passionné d'emblée par l'idée, sans toutefois mener à bien son projet de conduire l'histoire de la langue française "de livre en livre, de siècle en siècle, jusqu'à nos jours"([xxix]). Etienne Pivert de Sénancour publie, dans ses Rêveries de 1809, des "Fragments sur deux siècles comparés...". Et Roland Mortier a trouvé un manuscrit inédit de Benjamin Constant, "Esquisse d'un Essai sur la littérature du 18e siècle", daté du 24 juillet 1807([xxx]). A quoi on devrait ajouter une longue note, à la fois élogieuse et critique, que Mme de Staël a consacré au Tableau de Barante - son très jeune amant -, et dont la censure a empêché la publication dans le Mercure de France([xxxi]).

 

   Or il ne s'agit pas d'un cas unique à l'époque, loin s'en faut. En paraphrasant le titre de l'important livre de Jean-Claude Perrot([xxxii]), on peut qualifier les années 1799-1810 de "l'âge d'or du bilan"!

   Certes, l'idée d'établir l'inventaire des personnes, des biens, des outils de production, remonte très loin dans l'histoire. Les rois de France n'ont cessé de lancer des enquêtes "nationales" leur permettant de connaître le Royaume, connaissance tant qualitative que quantitative([xxxiii]), et ce depuis Philippe-Auguste, avec, comme étapes marquantes, la grande enquête de Saint Louis en 1247, l'Etat des paroisses et des feux de 1328, et la célèbre enquête décidée pour l'instruction du duc de Bourgogne en 1697:

 

"Il ne suffit pas de savoir le passé [écrit Fénelon au Dauphin]; il faut connaître le présent; savez-vous le nombre des hommes qui composent votre nation; combien d'hommes, combien de femmes, combien de laboureurs, combien d'artisans... Que dirait-on d'un berger qui ne saurait le nombre de son troupeau? Il est aussi facile à un roi de savoir le nombre de son peuple: il n'a qu'à le vouloir [...] Il doit savoir les divers tribunaux établis en chaque province, les droits des charges, les abus de ces charges, etc. Un roi ignorant toutes ces choses n'est qu'un demi-roi: son ignorance le met hors d'état de redresser ce qui est de travers, lui fait plus de mal que la corruption des hommes qui gouvernent sous lui"([xxxiv])

 

   La statistique politique, dans sa version anglaise, arithmétique et évolutive, et dans sa version allemande, plutôt monographique et descriptive, est ainsi devenue, au cours du XVIIIe siècle, un instrument majeur dans la façon de penser, d'appréhender des unités politiques.

  De même, les inventaires des connaissances, des hommes illustres, des mots, des superstitions, sont connus de longue date, depuis Varron, Isidore de Séville, Vincent de Beauvais, Giorgio Vasari. Depuis la fin du XVIIe siècle c'est une formidable vague d'encyclopédies et de dictionnaires qui déferle sur l'Europe, ayant pour noms et ouvrages emblématiques, le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle (1695-1697), la Cyclopaedia de Chambers (1728), le Grosse Universal-Lexicon de Zedler (1732), l'Encyclopaedia Britannica (1768) - et surtout l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (1751), qui a donné au siècle une de ses dénominations.

 

   La Révolution française semble, à première vue, s'inscrire directement et amplement dans cette tradition encyclopédique et taxinomique des Lumières([xxxv]). En réalité, elle en transforme la nature, du moins dans le domaine qui nous intéresse ici.

 

   Et d'abord quantitativement. Dès le 22 décembre 1789, le Comité de Division de la Constituante lance une enquête nationale, dont le but est de constituer des unités homogènes sous le rapport des ressources, des hommes et du territoire; il en est sorti le nouveau découpage administratif du pays, celui des départements. La France devient alors un immense champ d'enquêtes de toute sorte. Marie-Noëlle Bourguet en recense plus d'une douzaine pour l'An II([xxxvi]). Mais ce n'est qu'après Thermidor que commence vraiment cet "âge d'or de la statistique régionale" dont parle J.-C. Perrot. "Il dure moins d'une décennie, caractérisée par un exceptionnel effort de  découverte et de description de la France. L'enquête se fait systématique, mieux, encyclopédique"([xxxvii]).

 

   Quantitativement toujours: des genres déjà répandus au cours du XVIIIe siècle: "Tableau de...", "Coup d'oeil sur...", "Aperçu de", se multiplient à partir de 1790, et font le point dans tous les domaines imaginables([xxxviii]). Quant au genre de bilan, il est pratiquement inconnu, à deux exceptions près, une de 1762, l'autre de 1790. La première a toutefois un certain intérêt ici: (Vivant de Mezague), Bilan général et raisonné de l'Angleterre depuis 1600 jusqu'à la fin de 1761, Paris, 1762 - on y trouve déjà cet "amour des chiffres ronds" qui caractérise le genre du bilan.

 

   Qualitativement, les bilans révolutionnaires et post-révolutionnaires diffèrent de ceux de l'Ancien Régime d'abord par leur accesibilité: les inventaires ont toujours été l'apanage du pouvoir, à sa discrétion; depuis 1789, ils sont, pour la plupart d'entre eux, rendus publics.

 

   Cette pratique s'apparentait alors à un dépôt de bilan. La fin d'un système de gestion, et le début d'un autre, incitaient tout naturellement à répértorier les acquis, les dégâts, et les urgences pour l'avenir. Ce qui explique qu'il fallait attendre le Directoire pour assister à l'éclosion des inventaires: "Viennent enfin Thermidor et le coup d'arrêt donné à la Révolution. La France retrouve une assise plus stable, elle échappe pour un temps à la double pression politique et militaire. Entreprendre de la décrire, c'est à la fois constater un point d'arrivée et fixer une nouvelle origine"([xxxix]). Le concours sur le Tableau littéraire de la France au XVIIIe n'obéissait pas à d'autres motivations; on y reviendra.

   Le changement se traduit aussi par le type d'unité dont on fait le bilan; et, en conséquence, par les rapports entre les unités inventoriées. Pour ce qui est de l'enquête administrative, si elle part d'une commande nationale, néo-jacobine - dont le grand initiateur fut François de Neufchâteau, ministre de l'Intérieur du Directoire (qu'on aura encore l'occasion de croiser) -, elle aboutit à une série de tableaux monographiques départementaux, qui a produit les grands mémoires de la Statistique des Préféts, sous la direction de Chaptal entre 1801 et 1804([xl]). On peut avancer que l'existence, en France, et pour la première fois de son histoire, d'un découpage territorial uniforme et rigide, celui des départements (produit, on s'en rappelle, de la première grande enquête révolutionnaire), a à la fois provoqué les enquêtes et infléchi leur caractère particulariste.

  

   La grande nouveauté des bilans, dans ces années cruciales, concerne le découpage temporel. Pour la première fois en histoire, semble-t-il, certainement à cette échelle, les hommes font le bilan d'une tranche de temps dont ils sont les contemporains, et qu'ils considèrent définitivement close! Les formes antérieures de bilan déjà évoquées: encyclopédies, summae, dictionnaires, étaient destinées à couvrir la globalité d'un champ, un champ aux frontières ouvertes en amont et surtout en aval - vers l'avenir. Vers 1800 est né le bilan qui sert à penser la discontinuité temporelle, et qui privilégie des unités aux frontières étanches.

  

   Peut-on trouver des précurseurs au bilan clos ("Chaque écrivain crée ses précurseurs", écrit Borgès dans "Kafka et ses précurseurs")?. Considérons les Hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle, que Charles Perrault publie à la fin du XVIIe siècle, et dont il explique en ces termes l'objectif:.

 

"Jusques icy les recueils d'éloges d'hommes illustres n'ont guère esté que d'une espèce d'hommes, pris dans une longue suite de siècles [...] On a pris plaisir à rassembler icy des hommes extraordinaires dans toutes sortes de professions; et à se renfermer dans le seul siècle où nous sommes [...] comme l'intention principale de ce recueil est de faire honneur à notre siècle"

 

   Voilà bien un bilan, portant sur une période circonscrite. Ailleurs, Perrault dit même qu'"on y a point mis d'hommes vivans, et il n'est pas mal aisé d'en deviner la raison". Mais si la frontière en amont, circa 1610, a ici, comme dans d'autres ouvrages de Perrault dont on reparlera, une fonction de démarcation, la frontière 1700 est purement technique. Pouvait-il en être autrement, en plein règne de Louis XIV?

 

   Bien plus problématique, sous cet angle, est Le Siècle de Louis XIV de Voltaire([xli]), projeté dès 1732, et publié en 1751. Là aussi, la frontière en amont est marquée: "le siècle que j'appelle de Louis XIV [...] commence à peu près à l'établissement de l'Académie française"([xlii]); ailleurs, Voltaire donne même la date de 1655. En cela, Voltaire suit d'assez près Le Siècle de Louis le Grand de Perrault (1687), précisément. Si Voltaire n'est pas aussi explicite sur la nature de la frontière an aval, il est pourtant clair que, dans son esprit, une véritable opposition existait entre deux ères. Dans une "Défense de Louis XIV", écrite en 1772([xliii]), on lit: "J'envisage encore le siècle de Louis XIV comme celui du génie, et le siècle présent comme celui qui raisonne sur le génie"; et dans la lettre déjà citée, il donne l'année 1704 comme fin du Siècle de Louis XIV.

   L'ouvrage de Voltaire s'apparente donc assez au genre du bilan moderne, à deux différences près:

- Entre les deux "siècles", point de rupture, ni certainement de rupture datable; la longue agonie du règne n'y étant pas étrangère.

- L'opposition entre les deux siècles, qui ne concerne que le "génie", est donc unidimensionnelle. On l'a en effet souvent remarqué: le point de départ de Voltaire, d'une histoire totale, était très moderne: "Ce n'est pas seulement la vie de Louis XIV qu'on prétend écrire ici; on se propose un plus grand objet. On veut essayer de peindre à la postérité, non les actions d'un seul homme, mais l'esprit des hommes dans le siècle le plus éclairé qui fut jamais". Mais le résultat était des plus traditionnels: la première moitié du livre est une histoire politique-anecdotique, la deuxième, une histoire intellectuelle accompagnée de listes de "Grands Hommes". Et si on trouve une différentiation des siècles, elle ne concerne que cette deuxième partie. Les contemporains ne s'y sont point trompés, comme le montre une réponse anonyme à Voltaire, parue en 1753: Le Siècle littéraire de Louis XV.

 

   Face à Voltaire, voici la façon dont Prosper de Barante explique l'intérêt, l'urgence même de son Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle ([xliv]).

 

"La fin du 18e siècle, et les premières années du siècle suivant, ont été signalées par des événements si importants, que tout l'ensemble des affaires en a été changé et renouvelé. La religion, les gouvernements, les distributions des royaumes, ont subi, non pas de simples modifications, mais des révolutions complètes. Les idées des hommes sur la politique, sur la morale, sur toutes les choses enfin où s'exercent leurs facultés, ont aussi pris une autre direction. L'histoire ne pourrait peut-être pas montrer un pareil exemple d'un changement aussi vaste, aussi complet, et en même temps aussi rapide dans la face du monde"

 

   Eusèbe Salverte, sans être aussi précis dans sa datation, ne dit en fait rien d'autre quand il écrit:

 

"Le dix-huitième siècle! que de souvenirs ce mot éveille [Salverte, 1771-1839, écrit en 1808...]! que de passions plus diverses encore! [...] Ce siècle, en tirant de l'oubli des principes étrangers aux âges qui l'ont précédé, s'est assuré une si grande influence sur l'avenir, et coupe, pour ainsi dire, en deux parties l'histoire littéraire, politique et philosophique de l'Europe moderne"([xlv]).

 

   On ne saurait être dupe de cette affirmation; si le XVIIIe siècle "coupe l'histoire", c'est que la Révolution a concrétisé ses principes.

   D'innombrables textes témoignent de la conscience d'une collectivité culturelle dans le siècle des Philosophes. Ils laissent entrevoir un consensus sur la date en-deça de laquelle, cette belle unité n'était plus: 1715. La Révolution a eu le grand mérite de délimiter cette cohérence en aval. Le siècle, a permis de la penser.

 

 

*               *              *

 

   Faire le bilan d'un être fini, clos, voici l'objectif que se sont proposés les candidats au concours de 1804. Et le choix du terme "être" n'est point gratuit. On avancera, en effet, que la notion de "siècle", instrument de la discontinuité, s'inscrit dans l'histoire d'une des plus puissantes métaphores humaines: l'organisme. Judith E. Schlanger, qui a consacré à ce problème une étude importante([xlvi]), a observé que les usages de l'organisme, toujours présent dans la pensée métaphorique, ont connu un changement radical à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. A l'harmonie et la hiérarchie entre fonctions, les deux principales qualités de l'organisme tradidionnel, on a alors ajouté le facteur temporel. La croissance, l'évolution, la révolution, la régression, la décadence investissent alors le langage organique, dont nous sommes toujours tributaires.

 

   Penser l'organisme, c'est isoler un système qu'on dit clos (à l'exception du "corps mystique" de l'Eglise médiévale, qui se voulait ouverte par définition([xlvii])). Jean-Claude Perrot a ainsi démontré l'importance de la métaphore dans la naissance de l'urbanisme moderne. Il insiste sur le rôle de la pensée biologique et médicale dans l'étude et l'aménagement des villes([xlviii]).

 

   Mais revenons au Temps. L'idée de comparer l'Histoire humaine à la vie d'un individu est ancienne. Nouvelle - Vico mis à part - en revanche paraît l'idée de construire l'histoire des civilisations comme une sorte de relais entre individus (entre générations). Et c'est là qu'intervient le siècle - le XVIIIe, évidemment, celui que la Révolution a "tué". Benjamin Constant, dans son "Esquisse d'un Essai sur la Littérature du 18e siècle"(supra), fait, plutôt timidement, ce rapprochement:

 

"Chaque siècle a son idée dominante. Chaque auteur reçoit l'empreinte de l'idée dominante de son siècle. Ceux qui marchent à la tête des doctrines victorieuses ne font dans la réalité qu'obéir à cette idée. Ceux qui semblent lutter capitulent [...] L'esprit d'un siècle est un fait nécessaire, un fait physique. Or un fait physique se raconte et ne se juge pas"

 

   Eusèbe Salverte est bien plus explicite. Il pose d'abord le problème, essentiel, de la cohérence:

 

"Où trouver enfin un principe d'unité dans ce Tableau, ou seulement un moyen d'en lier les différens groupes? Dois-je, annaliste scrupuleux, suivre l'ordre des dates? ou, fidèle à la routine des écoles, rappeler successivement les divers groupes, sans autre motif de transition que la nécessité de dire une chose après l'autre? Ce serait méconnaître la dignité de mon sujet. Essayons plutôt, en nous livrant à l'idée trop hardie peut-être de considérer un siècle comme un individu, essayons de distinguer dans son existence ce qui appartient à ses devanciers et ce qui appartient à lui-même"(p.3).

 

Il ne s'en prive pourtant point:

 

"Ne serait-on point fondé à croire que la division des siècles n'est pas arbitraire; qu'elle est tracée par le système de numérotation des hommes, bien moins que par la main puissante de la destinée; que le 18e siècle enfin, comme celui qui l'avait précédé, était condamné à ramper dans l'enfance avant d'atteindre l'âge viril? Qui sait même si, vers la fin de sa carrière, nous n'y découvrirons point quelques symptômes de l'affaiblissement de la vieillesse. Cherchons dans la nature des choses l'explication d'un fait aussi remarquable"(pp.11-12).

 

   A ce texte semble répondre, un siècle et demi plus tard, Roland Mortier, éminent spécialiste des Lumières:

 

"Avec ses ombres et ses nuances, le tableau que nous offre le XVIIIe siècle est à la fois cohérent et suggestif. Nous aurions tort de diviser ce qu'il a tenté d'unir, d'opposer ce qu'il a voulu concilier, de réduire à des composantes hétérogènes ce qu'il s'est offert de fondre et de souder. Tout au plus pourrait-on songer à distinguer, dans la vague qui le porte, la phase ascendante, la phase triomphante et la    phase du reflux: la retenue d'un Fontenelle; l'audace tranquille de Voltaire, de Diderot, de Rousseau; la dissolution ou l'usure des idées maitresses du siècle chez un Sade, un Bernardin de Pierre, voire même un Sénancour"([xlix]).

 

  Le jugement de Jean-Pierre-Louis de La Roche Du Maine,  Marquis de Luchet,datant de 1789, n'est pas si loin d'ailleurs:

 

Aurait-on prévu que la fin déshonorée de ce siècle serait témoin encore des faits honteux de la crédulité; que le flambeau de la philosophie pâlirait devant les torches du fanatisme; que la patrie des Fontenelle, des Montesquieu, des Diderot, des Helvétius, des d'Alembert, accueillerait un S***, un W***, un Cagliostro, un Lavater, un d'E***, et vingt autres théosophes"([l]).

 

 

   Le rôle de la mort dans toute production de bilan cohérent n'est pas à démontrer - la sagesse populaire prétend qu'il ne faut pas se considérer heureux ou fortuné avant que ne soit lâché le dernier souffle... Dans le cas qui nous occupe ici, c'est le constat universel de la mort d'une période, qui crée cette urgence d'en faire le bilan, d'en produire une cohérence. Le siècle participe donc modestement de cette alchimie métaphysique qui transforme la mort en un instrument de connaissance - de fabrication de sens!

 

*                 *               *

 

   Ce besoin de découper le temps, puis d'établir le bilan de la dernière tranche en date, on le rencontre, en ces années 1800, en tout domaine. J'en citerai trois exemples, qui ne sont pas sans rappeler le Concours de 1804, les deux premiers étant intimement liés.

 

* "Tableau de l'état et des progrès des sciences, des lettres et des arts, depuis 1789 jusqu'au 1er vendémiaire an X"

 

   Le 13 ventôse an X (4 mars 1802), sous le Consulat donc, on charge l'Institut national d'établir un bilan des connaissances en France depuis la Révolution([li]). En 1802, c'est Jean-Antoine Chaptal, grand chimiste, membre de l'Institut, ministre de l'intérieur et maître-d'oeuvre de la Statistique des Préfets qui est chargé du dossier. Le projet traîne, l'Institut est "réorganisé", le calendrier républicain est abrogé, le Consulat devient Empire, et, en 1807, le projet qu'on pouvait croire oublié est relancé par Champagny, le successeur de Chaptal au Ministère. Mais la date fatidique, 1789, ne l'est plus; elle ne constitue plus qu'un repère commode, l'accent étant mis sur l'"état actuel" des sciences, lettres et arts. En 1808 sont présentés à Napoléon cinq Rapports, fruit d'un travail collectif, dont les auteurs sont illustres: Bon-Joseph Dacier (1742-1833) pour l'histoire, Georges Cuvier (1769-1832) pour les sciences de la nature, Jean-Baptiste Delambre (1749-1822) pour les mathématiques (ces deux derniers auront leur rôle à jouer dans les Prix décennaux dont il sera sous peu question), Marie-Joseph Chénier (1764-1811) pour la littérature; un inconnu, Joachim Lebreton (1760-1819) pour les beaux-arts([lii]). Et, fait intéressant, il était projeté de renouveler l'exercice tous les cinq ans (une tentative, lancée par Victor Cousin en 1840, n'a pas abouti; une autre, datant de 1867, à l'occasion de l'Exposition Universelle, a produit un Recueil de rapports sur les progrès des Lettres et des Sciences).

 

 

* Les Prix décennaux

 

"                     DECRET IMPERIAL

 

Qui institue des Prix décennaux pour les Ouvrages de Sciences, de Littérature, d'Arts, etc.

 

 Au palais d'Aix-la-Chapelle, le 24 fructidor an XII(11.9.1804)

 

Napoléon, Empereur des Français, à tous ceux qui les présentes verront, salut.

   Etant dans l'intention d'encourager les sciences, les lettres et les arts, qui contribuent éminemment à l'illustration et à la gloire des nations;

   Désirant non seulement que la France conserve la superiorité qu'elle a acquise dans les sciences et dans les arts, mais encore que le siècle qui commence l'emporte sur ceux qui l'ont précédé;

    Voulant aussi connoître les hommes qui auront le plus participé à l'éclat des sciences, des lettres et des arts;

    Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:

 

                ARTICLE PREMIER

 

   Il y aura, de dix ans en dix ans, le jour de l'anniversaire du 18 brumaire, une distribution de grands Prix donnés de notre propre main...

                          II

 

   Tous les ouvrages de sciences, de littératures et d'arts, toutes les inventions utiles, tous les établissements consacrés aux progrès de l'agriculture ou de l'industrie nationale, publiés, connus ou formés dans un intervalle de dix années, dont le terme précédera d'un an l'époque de la distribution, concourront pour les grands prix"([liii]).

 

   Napoléon et ses conseillers ont eu l'originale idée de récompenses rétrospectives pour l'excellence d'esprit et d'utilité publique. "L'intervalle de dix ans, préféré à celui de cinq, à ces lustres si fameux chez les anciens, était aussi pour les arts, qu'il ne faut pas regarder de si près que les moeurs"; mais aussi "une portion plus convenable de ce (sic) période des siècles par lesquels les âges du goût et du génie ont coutume de se comparer et de se mesurer"; c'est ainsi que le comte Garat explique cette initiative dans sa biographie de Suard([liv]), personnage central aussi bien dans le concours du Tableau littéraire de la France pendant le 18e siècle que dans la commission des Prix décennaux. Ajoutons que ce projet a donné lieu à des compte-rendus très détaillés de la production scientifique, littéraire et artistique de la décennie. Parmi les membres du Jury de la Classe des Sciences mathématiques et physiques, on trouve Monge, Laplace, Delambre, Cuvier,   Chaptal (!), Gay Lussac, Carnot, Arago, Cassini, et parmi les lauréats virtuels, outre les membres du jury, La Grange, Berthollet, Lacépède, Lamarck, Bichat, Corvisart, Pinel, Montgolfier! La Classe de la langue et de la littérature française fut moins gâtée en hommes illustres; et, très honnêtement, elle refusa d'attribuer une partie des prix; alors que la Classe des Beaux-Arts les proposa, entre autres, à David, Gros, Méhul et Chérubini. Mais "les Prix décennaux, on le sait, proclamés par l'empereur et adjugés par le jury, ne furent point décernés".

 

 

* L'exposition.

 

   La première exposition nationale à but de bilan est l'oeuvre de la Révolution. En 1791 a lieu à Prague une exposition industrielle; François de Neufchâteau,ministre de l'Intérieur, adopte l'idée et crée, dans les cinq jours complémentaires de l'an VI (1798), une "Exposition publique annuelle de produits de l'industrie française". Cette initiative a été reprise par le Consulat (1801, 1802), par l'Empire (1806) - et jusqu'en 1849 (!); la première n'a duré que cinq jours et rassemblé 110 exposants, alors que la dernière a duré six mois avec 4532 exposants.

  

   C'est l'Exposition universelle qui a porté à son paroxysme la "bilanomanie". La première a lieu en 1851 à Londres; suivent Paris (1855), Londres (1862), Paris (1867), Londres (1871-74), Vienne (1873). l'Exposition universelle de Philadelphie de 1876 marque une nouvelle rencontre du bilan et du 100, à travers le centenaire, pratique "bilanesque" destinée à un grand avenir. Après Philadelphie, et à une plus grande échelle encore, vint l'Exposition universelle de Paris de 1889 qui fêta le premier centenaire de la Révolution française - avec ces "répétitions générales" que furent les centenaires de Rousseau et de Voltaire en 1878([lv]). Et après l'Exposition de Chicago en 1893, célébrant, elle, le tricentenaire de la Découverte de l'Amérique, ce fut l'apothéose: l'Exposition universelle à Paris de 1900: "L'Exposition de 1900 constituera la synthèse, déterminera la philosophie du XIXe siècle"([lvi]). Il suffit de feuilleter les dizaines de volumes issus de cette gigantesque manifestation pour voir le sérieux qu'organisateurs et participants prêtaient à cette définition; sérieux illustré par la "synthèse", en six volumes, de l'Exposition de 1900: Le Bilan d'un siècle (1801-1900)([lvii]).

 

COMPARAISON

 

   La "bilanomanie" de cette époque, on l'a dit et redit, est foncièrement comparatiste, comme en témoignent ces quelques citations du Concours de 1804 et ses annexes: "Des deux beaux siècles de la France, on préconise le plus ancien; il est plus près des siècles dociles" (E. de Sénancour, "Fragments sur deux siècles comparés"); "Pour étudier l'esprit du XVIIIe siècle, il faut étudier celui du XVIIe, et surtout celui du règne de Louis XIV" (Benjamin Constant); "Un nouveau siècle [le 18e] commence. Au besoin d'imiter et de croire avait succédé le besoin de connaître et d'inventer" (J.J. Victorin Fabre).

 

   Dans la séance du 1er avril 1807, Suard le dit on ne peut plus clairement:

 

"La plupart de ceux qui ont envoyé des ouvrages au concours ont paru croire qu'en proposant le Tableau littéraire du XVIIIe siècle, l'Académie avait pour but d'établir un parallèle entre le XVIIIe et le XVIIe siècle, et même d'élever un de ces siècles au-dessus de l'autre. L'Académie n'a pas eu une telle intention. Ces sortes de parallèles sont plus favorables au bel esprit qu'au bon esprit, et produisent plus d'erreurs que de vérités dans les jugements qui en sont le résultat [...] L'Académie a désiré qu'on lui présentât une appréciation fidèle et positive des richesses que le dernier siècle a ajoutés au trésor littéraire de la France, sans chercher à en faire la balance avec le fonds de richesse créé par le siècle précédent"([lviii]).

 

  Mais le concours lui même serait-il pensable sans, précisément, ce besoin d'établir des parallèles? Sans prétendre pénétrer l'âme de Jean-Baptiste-Antoine Suard (1732-1817), homme de tous les régimes ou presque, il ne serait pas hasardeux d'avancer que son rôle dans les deux  bilans, le Concours de 1804 et les Prix décennaux, ait eu pour motivation un comparatisme "existentiel". Mais ce membre de l'Académie française dès 1774, Secrétaire perpétuel de la Classe de Littérature de l'Institut lors de sa réouverture en 1803, devait surtout être obsédé par la compraison entre son siècle, le XVIIIe, et celui dans lequel la Révolution l'a, pour ainsi dire, catapulté, où il ne pouvait que se sentir complètement dépaysé. J'irais même jusqu'à dire que cette tendance massive des candidats au Concours de 1804 à comparer le passé et le passé antérieur devrait être interprétée comme un transfert du véritable enjeu de l'époque, la comparaison du passé et du présent, de l'Avant et de l'Après.

 

   Mme de Staël l'a bien vu, qui résume ainsi sa note sur le Tableau littéraire de Barante: "Le dix-huitième énonçait les principes d'une manière trop absolue; peut-être le dix-neuvième [on est en 1808!] commentera-t-il les faits avec trop de soumission. L'un croyait à une nature des choses, l'autre ne croira qu'à des circonstances. L'un voulait commander l'avenir, l'autre se borne [du futur Mme de Staël passe au présent] à connaître les hommes. L'auteur du discours dont il s'agit est peut-être le premier qui ait vraiment pris la couleur d'un nouveau siècle. Il est la postérité dans ses jugements"([lix]).

 

  Douze ans plus tard, Augustin Thierry publie dans Le Censeur Européen un compte-rendu très favorable de la biographie de Suard par Garat. Et le titre de cet article est fort éloquent: "Sur la philosophie du dix-huitième siècle et sur celle du dix-neuvième"([lx]). Mais si, pour Garat (1749-1833), et à plus forte raison pour Suard, Le siècle est le XVIIIe, Thierry, né en 1795, est homme du XIXe: "Le dix-huitième siècle porte encore le nom de siècle de la philosophie française; ce noble titre, nous le croyons, lui sera enlevé par notre siècle"(p.273).

 Autre siècle, autre univers: cette idée, Thierry est certainement un des premiers à la formuler d'une façon aussi radicale: "Tout ce siècle [le XVIIIe], moins dix ans, est pour nous comme un autre monde. Nous parcourons les cercles où l'ingénieux auteur nous fait entrer; nous y trouvons, grâce à lui, des portraits originaux et poignants, mais pas une seule figure de connaissance, pas un seul trait que nous ayons entrevu: ces hommes sont presque contemporains, et il y a des siècles entre eux et nous"(p.271-2).

 

   Instrument de comparaison, le siècle est aussi produit de la comparaison, et ce dès les années 1680. L'étude que Gaston Hall a consacrée à l'évolution de la notion de "siècle de Louis le Grand", dans le cadre d'un colloque au titre éloquent: "D'un siècle à l'autre. Anciens et Modernes", est pertinente ici à double titre([lxi]). Hall démontre que c'est le parallèle, devenu Querelle, des Anciens et des Modernes qui était à l'origine de cette notion. Ce n'est pas Charles Perrault (1628-1703), comme il est de coutume de le croire, mais à Jean Desmarets de Saint-Sorlin (1595-1676) qui en est l'auteur. En 1670, il publie La comparaison de la langue et de la poésie françoise avec la Grecque et la Latine, et des Poëtes Grecs, Latins et François - où il "prouve" que les Modernes égalent, et souvent dépassent, voire surclassent les Anciens. Suit, en 1674, Le Triomphe de Louis et de son Siècle, un poëme lyrique; puis, en 1675, une épître en vers adressée à Charles Perrault (!), La défense de la poésie et de la langue françoise, un appel solennel à se joindre à lui:

 

"Perrault, arme avec moy ton stile,

Join ta voix à ma voix.

A mon lut accorde ta lire.

Publions en tous lieux où s'étend cet empire,

La force & la beauté des ouvrages François.

Du sièlce de Louïs célébrons l'avantage".([lxii])

 

  Charles Perrault, on le sait, n'a pas manqué à l'appel, il s'en faut - même s'il ignore superbement tout ce qu'il doit à Desmarets([lxiii]). C'est ainsi qu'il publie, en 1687, le célèbre poëme Siècle de Louis le Grand, poëme qui devient l'Avant-Propos condensé  du plus célèbre encore Parallèle des Anciens et des Modernes de 1688. La fameuse Querelle est née.

 

   L'étude de Hall a pour nous un autre intérêt. A l'origine, c'est-à-dire dans l'esprit de Desmarets, le Siècle de Louis le Grand recoupait l'ensemble du XVIIe siècle (1601-) - son siècle; et le terme "Louïs" renvoyait autant au père qu'au fils, au XIIIème qu'au XIVème. Tel n'est plus le cas chez Perrault, dont la carrière démarre sous Colbert: "A quelques exceptions près faites pour des poètes (Régnier, Maynard, Malherbe), Perrault ne s'intéresse guère qu'au règne de Louis XIV, ce qui prépare les voies à Voltaire qui valorise dans son Siècle de Louis XIV surtout le règne personnel à partir de 1661. La notion de siècle, qui chez Desmarets répond plus ou moins aux années 1600, se déplace; la seconde moitié commence à s'imposer au détriment de la première"([lxiv]).

   Ainsi, la correspondance entre le "siècle 1601-1700" et l'"âge", dans l'air à l'époque, a été abandonnée, en France du moins, à cause d'un règne inhabituellement long, qui se voulait et se disait trop unique pour qu'on le confondît avec d'autres. Le Siècle de Louis XIV a donc tué en son début même le siècle chronologique, jusqu'à ce que la Révolution remette d'accord mathématique et Histoire.

 

CAUSALITE

 

   Le thème des Lumières comme "origines (intellectuelles) de la Révolution française" a fait couler beaucoup d'encre, et celle des contemporains d'abord; la passion pour cette question n'est pas encore près de s'apaiser, bien au contraire. Le besoin d'établir une chaîne causale, on l'a souvent démontré, est rétrospectif, et naît presque toujours de l'effet([lxv]) - ici, de la Révolution. Mais pour que cette chaîne devienne plausible, elle doit s'arrêter quelque part - sinon, on remonterait, chaque fois, à Adam et Eve. Or l'avantage du siècle, comme cadre de causalité, est qu'il propose non seulement une fin, mais aussi un début.

 

   Dans le chapitre consacré au bilan, nous avons insisté sur l'aspect "organique" du siècle, qui servait à identifier/créer une sorte de "Zeitgeist": celui du XVIIIe siècle en premier lieu, en attendant celui du XIXe - et le nôtre (il appartenait à notre siècle historiographique de créer aussi l'"esprit XVIe, XIIe, VIIe," etc.). Mais plus qu'une cohérence "synchronique", le siècle fraîchement créé était appelé à fabriquer une cohérence "diachronique", narrative, si l'on veut; servir de cadre à une chaîne causale, menant inévitablement à la Révolution française.

 

   C'est en termes proches que Prosper de Barante et Eusèbe Salverte définissent la raison d'être de leurs Tableau littéraire de la France au XVIIIe siècle respectifs:

 

"C'était un sujet bien digne d'exercer la curiosité, que de rechercher les causes de cette terrible convulsion, dont notre nation a d'abord été agitée, et qu'ensuite elle a propagée" (de Barante, "Préface" de 1822).

 

"La terre entière est encore agitée de la secousse terrible qui vient de rapporter la France au premier rang des nations; dans l'ébranlement général, dans le conflit de toutes les opinions, de tous les intérêts, de toutes les passions, de toutes les vertus, de tous les vices, l'esprit humain ne pouvait rester immobile, impassible. Il faut donc, rappelant des souvenirs douloureux, tracer son histoire au milieu de cet effroyable mélange d'opprobre et de gloire, d'humanité et de barbarie, de bassesse et d'héroïsme"( Salverte, p.7).

 

   On le voit aussi dans l'obsession du siècle chez Bonald. On lui attribue la notion de "siècle des Lumières"([lxvi]). Il se peut. Il ne fait surtout pas de doute que le XVIIIe siècle constituait, pour lui, un défi existentiel. Ses écrits des années 1800 posent à longueur de pages l'originalité de cette période, tout à fait distincte du XVIIe siècle([lxvii]). L'unité a toujours la même fonction: penser la catastrophe de 1789/1793. En octobre 1805, il écrit "De la philosophie morale et politique du XVIIIe siècle"([lxviii]), où la Révolution est une sorte d'apothéose funeste; dans un texte de mars 1806, il écrit: "Notre siècle [i.e. le 18e; lapsus intéressant - trois mois plus tard, il se démarquera de ce siècle] a rappelé aux siècles qui l'ont précédé d'avoir ignoré certaines vérités [...] mais les siècles d'ignorance pourroient, avec autant de raison, reprocher au siècle des lumières d'avoir méconnu les vérités les plus nécessaires à la conservation de la société, et d'avoir mis à la place les erreurs les plus funestes"([lxix]). De fait, Bonald le dit en toutes lettres dès 1801, dans son livre Du divorce au XIXe siècle: "Le divorce fut décrété en 1792, et il n'étonna personne, parce qu'il était une conséquence, depuis longtemps prévue et inévitable, du système de destruction, suivi à cette époque avec tant d'ardeur"([lxx]).

 

 

 

LE DECOUPAGE DE L'HISTOIRE EN SIECLES: PREMIER BILAN

 

 

   Le point de départ de mon travail était résolument critique. Je le concevais même comme une sorte de réquisitoire contre cette pratique aberrante, et je songeais à l'intituler "Us, buts et abus du siècle". Chemin faisant, le jugement a basculé. Des "abus" du siècle et de la périodisation, l'accent a été déplacé aux "us et buts", mieux, aux "atouts".

 

   L'Avant-Propos du Discours sur l'Histoire universelle (1681) de Bossuet([lxxi]), où est dit très clairement le pourquoi? de la périodisation, peut servir de point de départ à la relecture normative du siècle:

 

  "Cette manière d'histoire universelle est, à l'égard des histoires de chaque pays et de chaque peuple, ce qu'est une carte générale à l'égard des cartes particulières. Dans les cartes particulières vous voyez tout le détail d'un royaume, ou d'une province en elle-même; dans les cartes universelles vous apprenez à situer ces parties du monde dans leur tout; vous voyez ce que Paris ou l'Ile-de-France est dans le royaume, ce que le royaume est dans l'Europe, et ce que l'Europe est dans l'univers"[...]

  "Comme donc, en considérant une carte universelle, vous sortez du pays où vous êtes né, et du lieu qui vous renferme, pour parcourir toute la terre habitable, que vous embrassez par le pensée toutes ses mers et tous ses pays; ainsi, en considérant l'abrégé chronologique, vous sortez des bornes étroites de votre âge, et vous vous étendez sur tous les siècles.

  Mais de même que, pour aider sa mémoire dans la connaissance des lieux, on retient certaines villes principales, autour desquelles on place les autres, chacune selon sa distance; ainsi, dans l'ordre des siècles, il faut avoir certains temps marqués par quelque grand événement auquel on rapporte tout le reste.

  C'est ce qui s'appelle EPOQUE, d'un mot grec qui signifie s'arrêter, parce qu'on s'arrête là, pour considérer tout ce qui est arrivé devant et après, et éviter par ce moyen les anachronismes, c'est-à-dire cette sorte d'errerur qui fait confondre les temps"(pp. 22-23).

 

- Mémoriser (l'art de la mémoire([lxxii])). Bossuet, et c'est un avantage certain, pense en pédagogue (qui connaît les limites de son auguste élève). D'où cette affirmation si simple, si juste, que des découpages de tout ordre sont d'une grande utilité dans la mémorisation; ils lui sont même indispensables. Le "Tout" dépasse notre appréhension, on ne le retient point. Antoine-Augustin Cournot, défendant le découpage de l'histoire en siècles, le dit tout aussi clairement: "nous ne faisons qu'user d'un détour ou d'un artifice mnémonique pour mieux mettre en relief des traits dominants et les graver dans les esprits"([lxxiii]).

- Distinguer. Le découpage, tout découpage, sert de garde-fou contre l'amalgame totalisant: l'anachronisme. Ou, pour citer de nouveau Bossuet, "si l'on n'apprend de l'histoire à distinguer les temps, on représente les hommes sous la loi de la nature [avant Moïse], ou sous la loi écrite, tels qu'ils sont sous la loi évangélique; on parlera des Perses vaincus sous Alexandre, comme on parle des Perses victorieux sous Cyrus[...] Mais, de peur que ces histoires et celles que vous avez encore à apprendre ne se confondent dans votre esprit, il n'y a rien de plus nécessaire que de vous représenter distinctement, mais en raccourci, toute la suite des siècles"(pp.2-3).

- Etudier. Penser le Temps humain en périodes distinctes mène, à terme, à l'abandon de la conception totalisante, organique de l'Histoire, conception qui, à la regarder de près, est foncièrement a-historique. Certes, la périodisation n'est ni la condition suffisante, ni même la condition nécessaire pour écrire l'histoire dans le sens moderne du terme. Mais diviser l'Histoire en tranches rend beaucoup plus facile ce qui demeure l'un des objectifs de tout homme de science, et de l'historien en particulier: penser à la fois le Même et l'Autre, la ressemblance et la différence; en langage aristotélicien, l'art de la classification - et la périodisation en est une - repose sur le genre prochain et la différence spécifique.

 

*              *             *

 

   L'exemple de Bossuet est, à ce titre, plutôt déconcertant. Il périodise, certes, mais selon des principes qui nous paraissent peu historiques, qui tirent toute leur légitimité, d'abord des Ecritures, ensuite des Empires (comme le dit d'ailleurs le sous-titre du Discours). Le Bossuet pratiquant de la périodisation est nettement en deçà du Bossuet penseur de la périodisation. Pour expliquer ce décalage flagrant, on fera appel, une fois de plus, à la Révolution française. On avancera que pour que la périodisation devienne opérationnelle - c'est-à-dire véritable instrument de recherche et d'écriture -, elle doit servir à penser une rupture contemporaine!

 

   N'est-ce pas, précisément, l'origine des études classiques, quand "Vers la fin du quatorzième siècle, l'art d'Italie est devenu aussi radicalement étranger à l'Antiquité que l'art du Nord"([lxxiv]). C'est en effet le centre de la démonstration d'Erwin Panofsky, il fallait penser l'Antiquité comme définitivement close, définitivement distincte du présent pour se mettre à la comprendre: "En portant leurs regards en arrière vers le monde païen d'un point de vue quasi historique, puis en projetant son image sur un plan idéal, les humanistes de la Renaissance apprirent à penser la civilisation classique comme une totalité"([lxxv]). Dans le même ordre d'idées, on peut dire qu'à l'image de la Renaissance qui "inventa" l'Antiquité, patrimoine ancien, la Révolution, certes grande destructrice, "inventa" le patrimoione national([lxxvi])! Et Panofsky écrit ailleurs:

 

"Ainsi la Renaissance italienne, dans la première ample rétrospective qui eût tenté de répartir l'évolution de l'art occidental entre trois grandes périodes, a défini son propre locus standi, d'où elle pût jeter le regard en arrière à la fois vers l'art de l'antiquité classique [...] et vers l'art du Moyen Age [...]: chacun d'eux pouvait être évalué en fonction de l'autre, et par opposition à l'autre. Pour injuste que ce mode d'estimation puisse nous apparître, il signifiait que dorénavant les périodes découpées dans l'histoire de la civilisation et de l'art pourraient être comprises à la fois comme individualités et comme totalités"([lxxvii]).

 

   Pour le dire d'une façon quelque peu brutale, pendant les deux cent trente premières années de son existence, grosso modo de Flacius et Baronius à Hume et Robertson, le siècle n'a pas beaucoup contribué aux études historiques - faute d'enjeu majeur, dirions-nous. Tout au plus facilitait-il la tâche à quelques chronographes. Mais pour ce qui est du progrès des connaissances, le bilan du siècle était bien maigre. Et il ne pouvait être que bien maigre, tant que l'actualité ne le recruta dans cette entreprise gigantesque, unique dans l'histoire universelle: penser la discontinuité.

 

              *                  *                 *

 

   Il s'agissait de enser la discontinuité, certes, mais aussi de la combattre. On n'a en effet pas suffisamment insisté sur le rôle de la pensée anti-révolutionnaire, conservatrice, comme précurseur de l'histoire de la longue durée; comme sur l'esprit profondément conservateur de cette même histoire, dite, trop rapidement, des Annales. Car si l'Histoire est régie par des mécanismes de longue durée, les hommes la subissent plus qu'ils ne la font. On avance, en effet, et avec fierté que l'histoire moderne a refusé aux grands de ce monde le monopole de l'action historique; plus exact serait de dire qu'elle l'a plus ou moins refusé à tous, Grands Hommes et petites gens. Joseph de Maistre ne dit pas autre chose: "Nulle grande institution ne résulte d'une délibération"; Fustel de Coulanges: "Les institutions politiques ne sont jamais l'oeuvre de la volonté d'un homme; la volonté même d'un peuple ne suffit pas à les créer". Et Prosper de Barante propose une analyse bien moderne de l'origine de ce qu'il perçoit comme phénomène nouveau:

 

"Lorsque les communications sont devenues faciles, rapides et vastes entre les hommes, l'influence des causes isolées est moindre, et  les causes générales sont plus à considérer. De là aussi les individus sont moins importants, et leur action est inaperçue. On en peut donc conclure qu'il ne dépend point de la volonté ou de la conduite de quelques hommes d'exercer une influence vive et décisive sur leur nation et sur leur temps [...] En un mot, régler et maintenir, voilà tout ce qui est possible [d'où] la conviction profonde qu'il vaut mieux travailler une situation par le repos et le bon ordre, que de tenter vainement, et à tout hasard, d'en changer les bases et les principes"([lxxviii]).

 

Or si les institutions ne dépendent pas d'un quelconque volontarisme, à plus forte raison les processus économiques, démographiques ou de mentalités.

 

    On voudrait aventurer, à présent, une thèse provocante: le siècle rend possible - du moins facilite - l'histoire moderne, "structurale", dont l'école des Annnales est un des aboutissements emblématiques. Le paradoxe est patent. Comment, en effet, concilier les deux fonctions qu'on se plaît à attribuer au siècle: penser la discontinuité, rendre possible la longue, très longue durée?  

 

   Les jalons de l'alliance objective, entre siècle et longue durée, remontent aux années 1800. Avant qu'on ne découpe l'Histoire en siècles, l'unité de périodisation la plus répandue était le règne. Voltaire distingue ainsi quatres grands "siècles": de Périclès, d'Alexandre, des Médicis et de Louis XIV. L'histoire de France était une succession de races royales; l'histoire anglaise, une succession de dynasties; l'histoire ecclésiastique, une suite de souverains pontifes et de conciles. Après 1789, et a fortiori après 1793, il est devenu difficile de continuer dans cette tradition. Or, on l'a déjà dit, cette décennie a été perçue comme l'aboutissement d'une plus grande période, restée à délimiter et à dénommer. Par effet de contagion, en quelque sorte, pour la vraisemblance aussi, cette période ne pouvait être marquée par un Louis ou un autre - même les historiens anti-révolutionnaires, plus ou moins nostalgiques des Bourbons, tels Bonald ou Maistre, ne songeaient point à parler du "Siècle de Louis XV" ou du "Siècle des deux Louis". Le XVIIIe siècle, au fondement arithmétique, donc non-marqué par la réalité, offrait alors le choix idéale.

 

 Prosper de Barante, toujours lui, le dit presqu'explicitement dans la "Préface" de son Tableau littéraire:

 

"Le plus souvent, les mouvements qui bouleversent les empires, peuvent être attribués à des influences directes et positives, aux dissensions des peuples, aux conquêtes d'un prince, aux talents d'un général, au poids d'une tyrannie, à la violation d'un traité. Mais, en France, le 18e siècle n'avait pas été fécond en événements. Parmi les hommes qui avaient possédé l'autorité, aucun n'avait montré un de ces grands caractères qui changent le sort des royaumes. Enfin, le siècle, jusqu'à ses dernières années, s'était écoulé, d'un cours assez tranquille, sans déchirements, sans mouvements extraordinaires. C'était surtout par la marche des opinions, et par les productions de l'esprit, qu'il avait été remarquable. Les contemporains eux-mêmes s'étaient fort enorgueillis de ce développement de l'esprit humain, et en avaient fait le principal caractère de l'époque où il vivaient".

 

 

 

   En termes moins datés, cette thèse n'est que la conséquence logique de la comparaison entre les modes de périodisation: découpage en siècles: XIIIe, XVIIe, XIXe siècles ,- avec les découpages concurrents: en règnes; en "Avant-et-Après-Christ", "Avant-et-Après-la-Réforme"; en "Antiquité"- "Moyen-Age"- "Moderne"- "Contemporain"; en "Classique"-"Barbare"-"Carolingien"-"Gothique"-"Renaissance"-"Baroque"-"Lumières"... Qui pense l'Histoire en succession de monarques aura beaucoup du mal à échapper à une certaine prégnance du registre politique (l'exemple du célèbre livre de Pierre Goubert, Louis XIV et vingt millions de Français(1966) est doublement significatif à cet égard: par la dés-automatisation de l'histoire politique, traditionnellement  axée sur le pouvoir; par l'impossibilité, en fin de compte, d'y échapper. Le lecteur est ainsi frappé, d'abord par le tout premier passage du livre: "En 1966, l'espérance de vie à la naissance avoisine ou dépasse 70 ans. En 1661, atteignait-elle 25 ans"; ainsi que par l'image choisie pour l'édition de poche: une reproduction des Frères Le Nain, peintres "du peuple", et pas, comme on le fait si souvent, une reproduction de Le Brun, peintre "de la Cour". Et pourtant, on est encore plus frappé de s'apercevoir qu'en réalité, le personnage du roi écrase le livre, bien plus que le titre ne laisse le présager.([lxxix]). Comme un découpage religieux aura, quasi-inévitablement, privilégié le spirituel, un découpage stylistique, le culturel, etc. Nommer, on le sait, n'est jamais un acte innocent([lxxx]). N'allons pas jusqu'à considérer le nom comme une sorte de matrice -  Frédéric II est loin d'être ce cadre cognitif que rien ne dépasse, qui rend imperceptible tout ce qui lui est extérieur. Il va pourtant de soi que le titre choisi par Kantorowicz infléchit fortement sa façon d'aborder ce grand moment de l'histoire médiévale (et contemporaine...). Comme "à l'époque de Philippe II" infléchit, beaucoup plus qu'il ne se laisse deviner, la "Méditerranée et le monde méditerranéen" de Braudel.

 

   Ce qui nous ramène à une des caractéristiques majeures du siècle, cette tranche arbitraire de 100 ans: sa neutralité. L'aberration constitutive du siècle, à savoir son a-référentialité, devient ainsi son principal atout. De tous les systèmes de périodisation, le système séculaire est le moins marqué - par la réalité, par l'historiographie. Il s'avère, de ce fait, le plus ouvert à ce qu'on a peu, ou pas étudié en histoire: économie, démographie, mentalités. Quoi, d'ailleurs, de plus aisé que de repérer les appels constants que fait l'histoire "structurale" - voir Febvre, Braudel, Labrousse, Chaunu, Wallerstein - à ce découpage.

 

   Un nom incarne cette alliance insolite: Antoine-Augustin Cournot 1801(!)-1877. Jamais un penseur n'est allé aussi loin dans la mise en siècles de l'Histoire. On a souvent remarqué, en la raillant, cette obsession de Cournot de tout faire coïncider avec la succession des siècles. On aura pourtant tort de n'y voir qu'une pédanterie gratuite. Si les choix de Cournot sont arbitraires, les arguments qu'il avance pour les défendre renvoient à un système de pensée qui n'a rien d'arbitraire. "Plus une existence caduque s'est prolongée, moins l'accident qui y met un terme a de valeur intrinsèque, plus le hasard se mêle de l'affaire"([lxxxi]) - d'ou son mot célèbre qualifiant la Révolution française d'"accident colossal". Les historiens modernes français ne s'y sont guère trompés, qui voyaient en Cournot un grand précurseur. La Revue de Synthèse lui consacre deux  articles dès 1905; Henri Berr définit l'objectif de son livre, La Synthèse en histoire (1911): "recueillir ici ce qu'il y a de meilleur et de complémentaire dans la pensée de quelques Français éminents, Taine, Cournot, Tarde [qui ne cessait d'ailleurs de revendiquer l'héritage de Cournot], Lacombe, Durkheim"([lxxxii]); Lucien Febvre, s'il ne se prive pas d'ironiser sur l'obsession séculaire de Cournot([lxxxiii]), lui rend ailleurs cet hommage appuyé: "Cournot, une fois de plus dédaigneux des sentiers battus"([lxxxiv]). Mais c'est surtout Henri Sée qui résume l'apport essentiel de Cournot à ce qui était en train de devenir la "Nouvelle Histoire" à la française:

 

"Dans sa classification des diverses catégories des phénomènes, il considère en bloc les événements politiques, qui, dit-il, dépendent beaucoup plus des accidents que les faits d'ordre scientifique, philosophique ou religieux[...] Les événements historiques proprement dits ne viennent qu'au dernier rang. C'est bien aux faits de civilisation qu'est attribuée la primauté, et ils prennent la place la plus large dans son exposé [...] En somme, ce qui intéresse Cournot dans le spectacle de l'histoire, ce n'est pas ce qui est accidentel, fortuit, mais ce qui est permanent, essentiel. Et, tout en reconnaissant au hasard et à l'accident une place assez large, il a, en réalité, une tendance à les éliminer dans une certaine mesure"([lxxxv]).

 

 

   Pour résumer, et sans forcer davantage l'argument, on peut dire que lorsque les historiens sont partis à la conquête de nouveaux territoires à explorer, le siècle, la moins contraignante des périodes, était de la partie. Cela dit, on défendra une vue beaucoup moins triomphaliste de la question dans "Le siècle, projet expérimental avorté".

 



([i]) Johannes Burckhardt, Die Entstehung der modernen Jahrhundertrechnung: Ursprung und Ausbildung einer hitoriographischen Technik von Flacius bis Ranke, Göppingen, Alfred Kümmerle, 1971, avec une bibliographie imposante; voir aussi W. Feldmann, "Jahrhundert und seine Sippe", Wortforschung 5(1904), pp.229-237; Werner Krauss, "Der Jahrhundertbegriff im 18 Jahrhundert: Geschichte und Geschichtlichkeit in der franzözichen Aufklärung", in Studien zur deutschen und französichen Aufklärung, Berlin, 1965(1955), pp. 9-40 (notes pp.473-480); Paul Lehmann, "Einteilung und Datierung nach Jahrhunderten", in Ausgewölte Abhandlungen, Leipzig, 1941(1935); Fritz Schalk, "Uber Epoche und Historie", in Studien zur Periodisierung und Epochbegriff, Mainz, Akademie der Wissenschaften und der Literatur, 1972, No4, pp.150-176.

([ii]) Je dois à Alain Boureau les références de Pierre de Jean Olivi, L. Oliger, "Petri Johannis Olivi de renuntiatione papae Coelestini V quaestio et epistola", Archivium Franciscanum Historicum, 11 (1918), p.362, et de Gilles de Viterbe, F. Secret, "Notes sur Egidio de Viterbe", Augustiniana, Tome 27, 1977; à Hillel Schwartz, Century's End, New York, Doubleday, 1990, celles de Salutati, Epistolario, ed. Francesco Novati, Paris, 1896, III, 408, lettre 23, et d'Artusi, L'Artusi, ovvero, Delle imperfezioni della moderna musica, extraits in Source Readings in Music History: The Baroque Era, ed. Oliver Strunk, New York, 1965, pp.33-4, 40-42.

([iii]) Alain Boureau, La papesse Jeanne, Paris, Aubier, 1988, pp.137.

([iv]) Indice problématique, certes, mais point négligeable; cf. François Furet (sous la direction de), Livre et société dans la France du 18e siècle, Paris, Mouton, 1965; Milo, "La rencontre, insolite mais édifiante...", op.cit..

([v]) Jean-Baptiste-Gabriel-Marie de Milcent publie, en 1775, une petite brochure intitulée Le dix-huitième siècle vengé, Epître à M. D***, 14p., 1775, in 18o, B.N. Ye 27818; Nicolas Restif de la Bretonne, Monument du costume physique et moral de la fin du dix-huitième siècle, Neuwied-sur-le Rhin, Société typographique, 1789.

([vi]) Cette liste, forcément non exhaustive, s'appuie sur un recensement du Journal général de la littérature de France, ou Répertoire méthodique. Paris/Strasbourg, 1799-. Pour le XVIIIe siècle, on a consulté, entre autres, Pierre M. Conlon, Prélude au siècle des Lumières en France. Répertoire chronologique de 1685 à 1715 (6 volumes), suivi par Le Siècle des Lumières, dont le dernier volume en date va jusqu'en 1747, Genève, Droz, 1970-; Le Journal de la librairie (1763-1788); et, d'Antoine-Alexandre Barbier,  Dictionnaire des ouvrages anonymes (revu et augmenté par O. Barbier & R. et P. Billard), Paris, 1879.

([vii]) Cf. Burkhardt, Die Enstehung..., op.cit., pp.117-122.

([viii]) F. Schiller, "Le commencement du nouveau siècle", in Poésies, tr. Ad. Régnier, Paris, Hachette, 1859, pp.270-271. Voir aussi "L'Epoque" (1797): "Le siècle a engendré une grande époque, mais ce grand moment trouve sur terre une petite race", ibid, p.373.

([ix]) Erwin Panofsky, Renaissance and Renascences in Western Art, New York, Harper, 1972 (1960), p.162.

([x]) J.W. von Goethe, Campagne de France (18-22 septembre 1792), Tr. J. Porchat, Paris, Hachette, 1863 (mais publié trente ans après les événements), p.46.

([xi]) Reinhart Koselleck, ": Remarks on the Semantics of the Modern Concepts of Movement", in Future Pasts. On the Semantics of Historical Time, MIT Press, Cambridge, Mass.,1985(1977), pp.230-236. Wilhelm von Humboldt, Das achtzehnte Jahrhunderte, in Werke, I, p.398, cité par R. Koselleck, p.252.

([xii]) Recensement qu'a rendu possible le formidable outil de travail constitué par Pierre M. Conlon, Prélude au siècle des Lumières, op.cit.   Six brochures parisiennes de 1699 (dont quatre sont éditées par le même libraire, Jean Moreau), sont reliées ensemble à la Bibliothèque Nationale sous les cotes V 29419-29419bis-29424; voir aussi B.N., V. 21651, B.M. 717.C.36(3), B.N. Vz. 2216, B.N. G. 11502, et de 1700, qui voit N. Chevalier, Lettre ...sur la question dont ont dispute aujourd'hui, savoir, si l'an 1700..., Amsterdam.

([xiii]) En Allemagne aussi; cf. J. Burkhardt, Die Enstehung..., op.cit., pp.117-118. Burkhardt fait dans l'anachronisme en appelant ce moment "tournant du siècle", dans le sens que le terme aura pris un siècle plus tard.

([xiv]) Mallement de Messange, La question décidée sur le sujet de la fin du siècle, si l'année 1700 est la dernière du dix-septième siècle ou la première du dix-huit, dédiée à M; le comte d'Ayen, Paris, 1699, p.54.

([xv]) Cf. J. Burkhardt, Die Entstehung..., op.cit., pp. 116-117.

([xvi]) Né en 1265, il atteint en 1300 la moitié de sa vie, selon un verset de Isaïe (je dois cette information à Pierre VVidal-Naquet).

([xvii]) Raymonde Foreville, "Jubilé", Dictionnaire de spiritualité, Vol. VIII, Paris, 1974, pp.1478-1487; ainsi que Herbert Thurston, "Jubilee", The Catholic Encyclopaedia, New York, 1910.

([xviii]) Paris, chez la veuve Claude Barbin, Jacques Morel, Pierre Ribou, 1700. B.N., Rés.m.Yc.911(113). Il m'est impossible d'en identifier l'auteur.

([xix]) Récits en musique pour servir d'intermède à la Tragédie de Maxime martyr, qui sera interprétée au Collège de Louis le Grand Mercredy 12 jour de May 1700. Paris, 1700 (B.N., Rés. Yf 2663).

([xx]) E. Salverte, Tableau littéraire..., op.cit., p.11-12.

([xxi]) Le Père Du Cerceau n'avait pourtant pas abandonné ce goût pour le siècle, comme le démontre un ouvrage au sujet moins compromettant: Histoire des révolutions de Perse depuis le commencement de ce siècle jusqu'à la fin de l'usurpateur Aszraff, Paris, 1742.

([xxii]) Toulouse, chez Pierre Forest, 1700, B.N., V 29425. Là aussi, on n'a pu identifier l'auteur, ce qui est bien regrettable, vue l'immense originalité du texte.

([xxiii]) Ce qui permet à la Bible de Vence de traduire: "Rappelez en votre mémoire les merveilles que j'ai opérées dans les siècles passés"; alors que la Bible polyglotte de F. Vigouroux (Paris, 1904), va jusqu'à traduire "Rappelez-vous du siècle passé"!

([xxiv]) A comparer avec Ludwig Büchner, Am Sterbelager des Jahrhunderts [Auprès du lit-de-mort du siècle], Giessen, 1900, une véritable rétrospective d'histoire culturelle du XIXe siècle; cité par Burkhardt, Die Entstehung..., op.cit.,p.121.

([xxv]) Cas saisissant: l'index du "Journal" de Barbier a l'entrée "Dix-huitième siècle; l'opinion qu'en a Barbier". Un passage sur huit volumes ne saurait certes constituer un contre-exemple. La lecture du passage en question m'a néanmoins "soulagé": "Si cela [les convulsionnaires de 1734] arrive de nos jours, dans un siècle raffiné, irréligieux, débauché...". L'explication est simple: l'Index est du XIXe siècle, où l'on "traduisait" "notre siècle" par "le dix-huitième siècle"; Edmond-Jean-François Barbier, Chronique de la Régence et du règne de Louis XV(1718-1763), 8 vol., II, p. 525, Paris, Charpentier, 1857.

([xxvi]) Un ouvrage de valeur sur les nombres qui mette l'accent sur le symbolique plus que sur le technique nous fait cruellement défaut ici; le livre de Georges Ifrath, Histoire universelle des chiffres, Paris, Seghers, 1981, ne comblant point cette lacune; c'est aussi le cas du livre au titre si prometteur de Karl Menninger, Number Words and Number Symbols: A Cultural History of Numbers, Cambridge, Mass., M.I.T. Press, 1969(1958).

([xxvii]) Voir infra, le division en dix époques de l'Esquisse d'un tableau historique... de Condorcet.

([xxviii]) Roland Mortier, Le . Un épispde de la à l'Académie française sous l'Empire (1804-1810). Bruxelles, Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises, 1972, p.13.

([xxix]) Lettre à Louis-Mathieu Molé datée du 10 mars 1805, in Correspondance, Paris, Perrin, 1914, pp.146-147; citée in Mortier, op.cit., pp.39-40.

([xxx]) Publié dans Clartés et ombres du siècle des Lumières. Etudes sur le XVIIIe siècle. Genève, Droz, 153-158.

([xxxi]) Cf. appendice de Prosper de Barante, Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle, Paris, 1832.

([xxxii]) Jean-Claude Perrot, L'âge d'or de la statistique régionale française (An IV-1804), Paris, Société des Etudes Robespierristes, 1977.

([xxxiii]) On s'appuie ici sur Jacques Revel, "L'enquête: de la visite à la statistique", in Histoire de France, (sous la direction de J. Revel), Tome I. L'Espace français, Paris, Seuil, 1989, pp.81-96.

([xxxiv]) Ibidem, p.85.

([xxxv]) Ernest Cassirer, La philosophie des Lumières, Fayard, 1970, pp.54-57, et Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, en particulier pp.137-176.

([xxxvi]) Sur les engrais, les charrues, les grains, les bestiaux, les fourrages, les mines, les draps...; Marie-Noëlle Bourguet, Déchiffrer la France. La statistique départementale à l'époque napoléonienne, Paris, Archives contemporaines, 1988.

([xxxvii]) J. Revel, op.cit., p. 89.

([xxxviii]) Là aussi, on s'est appuyé sur Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes, op.cit. Soulignons toutefois une exception: le genre "Etat de", le plus ancien semble-t-il, est beaucoup plus riche avant la Révolution; Barbier en relève 22 entre 1583 et 1783!

([xxxix])J. Revel, op.cit., p.88.

([xl]) Marie-Noëlle Bourguet, Déchiffrer la France, op.cit.

([xli]) Je me sers de l'édition Garnier/Flammarion, Paris, 1966, préfacée par Antoine Adam.

([xlii]) Dans l'Essai sur les moeurs et l'esprit des nations (1756), on lit: "Corneille commença en 1636, par la tragédie du Cid, le siècle qu'on appelle celui de Louis XIV".

([xliii]) Voltaire, "Défense de Louis XIV contre l'auteur des Ephémérides", ibid, p.373.

([xliv]) Paris, 1809, pp.1-2.

([xlv]) Eusèbe Salverte, Tableau littéraire de la France au dix-hitième siècle, Paris, Nicolle, 1809.

([xlvi] Judith E. Schlanger, Les métaphores de l'organisme, Paris, Vrin, 1971. Renvoyons aussi à l'étude pionnière de Karl S. Deutsch, "Mechanism, Organism, and Society: Some Models in Natural and Social Science", Philosophy of History, Vol XVIII, No 1 (janvier 1951),pp.230-252.

([xlvii]) Je dois cette remarque à Alain Boureau.

([xlviii]) Jean-Claude Perrot, Genèse d'une ville moderne. Caen au XVIIIe siècle. Paris/La Haye, Mouton, 1975(1973), pp.638-643.

([xlix]) Roland Mortier, "Unité ou scission du siècle des Lumières", in Clartés et ombres du Siècle des Lumières, Genève, 1969 (1963), pp.114-124 - la citation est p.124.

([l]) In Essai sur la secte des illuminés, Paris, 1789,p.2, cité par W. Krauss, op.cit., p.29.

([li]) Republication sous la direction de François Hartog, Mona Ozouf et Denis Voronoff, Paris, Belin, 1989.

([lii]) Les quatre premiers Rapports ont été édités par l'Imprimerie Impériale, Paris, 1810.

([liii]) Rapports et documents de toutes les classes de l'Institut de France, sur les Ouvrages admis au Concours pour les prix décennaux, Paris, 1810.

([liv]) Dominique-Joseph Garat, Mémoires historiques sur la vie de M. Suard, sur ses écrits et sur le XVIIIe siècle, Paris, 1820, T. II, pp.431-433. Et Garat de s'expliquer sur le projet dans l'Avertissement au lecteur: "C'est la nièce de madame Suard [...] qui a eu la première l'idée de placer les Mémoires sur la vie et sur les écrits de M. Suard dans les Mémoires sur le 18e siècle [...] C'eût été déchirer les plus belles pages de la vie de M. Suard que de les séparer du tableau de son siècle".

([lv]) Voir Jean-Marie Goulemot & Eric Walter, "Les centenaires de Voltaire et de Rousseau" in Les Lieux de Mémoire,, Tome I. La République (sous la direction de Pierre Nora), Paris, Gallimard, 1984, pp.381-420, ainsi que Pascal Ory, "Le Centenaire de la Révolution française", ibid, pp.561-591.

([lvi]) C'est ainsi que la présente au président le ministre du Commerce et de l'Industrie chargé du dossier; voir Alfred Picard, Rapport général administratif et technique de l'Exposition universelle de 1900, Paris, Imprimerie Nationale, 1902, Volume I, p.10.

([lvii]) Paris, Imprimerie Nationale, 1906 - Alfred Picard, Commissaire général, étant, là aussi, le maître d'oeuvre; comme il l'était déjà en 1889: cf. L'Exposition universelle de 1889 à Paris, Paris, 1890-, ainsi que Les Conférences de l'Exposition universelle de 1889, Paris, 1890. Si l'unité séculaire était claire en 1900, ces publications montrent qu'en 1889 on oscillait, sans trop vouloir trancher, entre 1789-1889 et le XIXe siècle.

([lviii]) Roland Mortier, Le "Tableau littéraire..., op.cit., p.23.

([lix]) Mme de Staël, in Prosper de Barante, Tableau littéraire..., op.cit., p.349.

([lx]) Le Censeur Européen du 19 juin 1820, repris dans Dix ans d'études historiques, Paris, Garnier, 1834, pp.268-274.

([lxi]) Gaston Hall, "Le Siècle de Louis le Grand: L'évolution d'une idée", in D'un siècle à l'autre. Anciens et Modernes, Actes du XVIe Colloque (janvier 1986) du CMR 17 (Centre Méridional de Recherche sur le XVIIe siècle, Marseille) et du CAER XVIII (Centre Aixois d'Etudes et de Recherches sur le XVIIIe siècle), Marseille, 1987, pp.43-52.

([lxii]) Défense de la langue..., p.27, cité in G. Hall, op.cit.

([lxiii]) Une attitude que Voltaire ne manquera pas d'imiter; ne se contentant pas de mépriser Desmarets, l'article qu'il consacre à Perrault dans le "Catalogue", op.cit., ne relève que des défauts dans ses écrits, et point la précédence de celui-ci dans l'éloge du "Siècle de Louis XIV".

([lxiv]) G. Hall, "Le Siècle...", op. cit., p.45.

([lxv]) Et voir le magnifique essai de Jorge Luis Borgès, "Kafka et ses précurseurs" (1951), in Enquêtes 1937-1952, Paris, 1952.

([lxvi]) Qui paraît, en effet, dans  un texte daté de mars 1806: "Sur les éloges historiques de M. Séguier et de Malesherbes", in Mélanges littéraires, politiques et historiques, Paris, 1838, Tome I, pp. 176-195 (citation p.183).

([lxvii]) "Questions sur la tragédie" de février 1807, ibidem, p.497; voir aussi "Réflexions sur la tolérance des opinions", datées de juin 1806, ibidem, pp.196-228.

([lxviii]) Ibidem, pp.85-108.

([lxix]) "Sur les éloges", op.cit., p.183.

([lxx]) De Bonald, Du Divorce..., op.cit., p.6.

([lxxi]) Jacques-Bénigne Bossuet, Discours sur l'histoire universelle à Monseigneur le Dauphin pour expliquer la suite de la Religion et les changements des empires, Paris, 1681. On utilise ici l'édition de 1876, Paris, E. Belin.

([lxxii]) Voir l'ouvrage classique de Francis A. Yates, L'art de la mémoire, Paris, Gallimard, 1975(1966).

([lxxiii]) Antoine-Augustin Cournot, Traité de l'enchaînement des idées fondamentales dans les sciences et dans l'histoire, Paris, 1861, § 631.

([lxxiv]) E. Panofsky, Renaissance..., op.cit., p.162.

([lxxv] Erwin Panofsky, "Artiste, savant, génie: Notes sur la ", in L'oeuvre d'art et ses significations. Essais sur les "arts visuels". Paris, Gallimard, 1969 (1952, 1962).

([lxxvi]) Cette formule est de Jean-Claude Braun. Voir André Chastel, "La notion de patrimoine", et Dominique Poulot, "Alexandre Lenoir et les Musées des Monuments français", Les Lieux de Mémoire, op.cit.,Tome II, Vol. 2, pp.405-450 et 496-531 respectivement.

([lxxvii]) "Le feuillet initial du de Vasari, ou Le style gothique vu de la Renaissance italienne", ibid, (1930) p.156.

([lxxviii]) Joseph de Maistre, Considérations sur la France, Londres, 1797 (Ed. Garnier, Paris, 1980, p.67); Numa-Denis Fustel de Coulanges, Histoire des institutions politiques de l'ancienne France, Paris, Hachette, 1875, Tome I, p.2; Prosper de Barante, Tableau littéraire (edition de 1822), op.cit., pp. 23-27.

([lxxix]) Pierre Goubert, Louis XIV et vingt millions de Français, Paris, Fayard, 1966 (Hachette, "Pluriel", 1982)

([lxxx]) Aline Rousselle, "La transmission décalée. Nouveaux objets ou nouveaux concepts", Annales E.S.C. Vol 44 N 1 (janvier-février 1989), pp.161-171.

([lxxxi]) Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes, Paris, Vrin, 1973 (1872), p. 84.

([lxxxii] Henri Berr, La Synthèse en histoire; son rapport avec la synthèse générale, Paris, 1953(1911), p.34.

([lxxxiii]) Lucien Febvre, "Générations" (Projet d'article du vocabulaire historique), Bulletin du Centre International de Synthèse, No 9 (juin 1929), pp.36-43 (sur Cornot pp.38-39).

([lxxxiv]) Lucien Febvre, "Avant-Propos", L'Encyclopédie française, Tome XVIII, La Civilisation écrite, Paris, 1939, 18.02-7

([lxxxv]) Henri Sée, "Quelques remarques sur la philosophie de l'histoire de Cournot", Revue de Synthèse historique, Tome 42 (décembre 1926), pp.5-18 (citations pp.14-15).

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