Dr. Dorian et Mr. Wilde

 

Dr. DORIAN et Mr. WILDE

 

 

Seuls les superficiels ne se fient pas aux apparences (Oscar Wilde)

 

 

  Un philosophe corrompt la jeunesse, le topos court depuis vingt-cinq siècles. Dans l'Athènes classique, les victimes se lèvent de table revigorées, et c'est le maître qui trinque. Dans le Londres victorien, le prophète lâche son apôtre dans le monde sans quitter le salon.

  "Un homme civilisé ne regrette jamais un plaisir, et jamais l'inculte ne connaîtra ce qu'est un plaisir." A la nature les besoins et à la culture les délices, proclame lord Henry, le législateur du néo-hédonisme. Lui-même pousse le raffinement de la connaissance jusqu'à en purger l'essence biblique. Homme post-civilisé, il n'a pas de plaisirs à repentir, parce qu'il n'en a que de spéculatifs. Pratiquant la perversion par procuration, il compte faire de Dorian Gray son préposé à Sodome et Gomorrhe.

  Le néo-hédoniste ne cherche pas à assouvir sa libido, mais son imagination. Son imagination savante, érudite, s'entend. Car il ne suffit pas de donner libre cours à ses pensées. En se débridant, les brutes s'abreuvent à une source pulsionnelle primaire quoique jouissive. Ephèbe plutôt rustre, Dorian a droit à un stage intensif de culture générale.

  Après le libertinage théorique, les travaux pratiques. Or les connaissances et les fantasmes ne mettront pas l'apprenti débauché sur orbite sans qu'il ait surmonté ses scrupules au préalable. Henry lui orchestre une sorte de rite de passage, en le poussant à se débarrasser de Sibyl Vane, sa fiancée. Dorian s'exécute, il la plaque dans des circonstances peu galantes. Mais se conduire lâchement n'est-il pas à la portée du premier venu?

  Le Surmoi est un adversaire coriace, il nécessite un remède autrement hippique. Cinq ans ont passé depuis l'étrange affaire de Dr. Jekyll et Mr. Hyde, et la technique n'a pas varié: compartimenter. Chez Jekyll, c'est la chimie doit permettre aux deux revers de sa personne d'aller au bout de leur logique; pour séparer les règnes du beau et du lascif, Dorian Gray mobilise l'art. Mais la mauvaise conscience ne lâche pas sa proie sur commande, c'est de l'avoir ignoré qui coûte sa sérénité au bon docteur: son ego n'arrête pas de se tourmenter sans que le ça - Hyde - en profite outre mesure. Pour éviter le remake, Dorian accorde aux scrupules la part belle - mais les délègue à son sosie. Un pan de son être jouit d'une liberté totale, que l'autre en assume les conséquences. Grâce à la stricte répartition des tâches entre l'original et le portrait (picture), celui qui agit prospère, celui qui se démange l'âme dégénère. Dans une religion de surface, un tel bilan est globalement positif.

  Qui est Jekyll, qui est Hyde, dans cet astucieux arrangement? A première vue, le commanditaire en serait lord Henry: "Il a toujours été fasciné par les méthodes des sciences naturelles, mais le sujet ordinaire de ces sciences lui paraissait trivial et sans importance. Ainsi il s'est mis à pratiquer la vivisection sur lui-même, puis sur les autres." Et qu'est-ce qu'il considère comme fragwürdig? "La méthode expérimentale était la seule méthode qui permettait d'arriver à une analyse scientifique des passions. Dorian Gray était le sujet approprié, et qui promettait des résultats riches et fructueux."

  Henry est pourtant chassé du laboratoire, et sa signature ne figure même pas sur l'article ci-joint, que Dorian et moi avons l'honneur d'adresser à la Revue d'Ethique Expérimentale. Ce n'est que justice: comme Henry ne goûte pas aux fruits de l'expérience ni les paie de sa personne, le cobaye affranchi le laisse dans l'ignorance. Le fondateur du néo-hédonisme crie au piratage? Nous venons pourtant de renvoyer le lecteur à ses travaux pionniers. Mais disons-le tout de go: son programme de recherche est historique, le nôtre se veut philosophique. Son programme appartient au genre "étude des moeurs", forcément datées; le nôtre, en testant l'étanchéité de la beauté, pose la question générale de la frontière entre surface et profondeurs. Le fait que le langage courant désigne la première au singulier et les secondes au pluriel est une intuition capitale, voire même le CQFD de l'expérience.

  Qui est Jekyll, qui est Hyde? En tant que savant, Dorian serait Jekyll, en tant que libertin il serait Hyde. A ceci près que Hyde est libre mais primitif, Jekyll est coincé mais inventif. L'impossibilité de stabiliser l'homologie est due au fait que les deux expériences s'inscrivent dans deux paradigmes incommensurables. Robert Louis Stevenson traîne à l'arrière-garde de l'éthique; non seulement il s'obstine à opposer, en les majusculant, le Bien et le Mal, il pousse le vice jusqu'à identifier le Mal avec les plaisirs. Oscar Wilde, homme de son temps et néanmoins socratique, joue le tiercé vrai/beau/bien dans le désordre, car toujours gagnant, les trois étant montés par le même jockey: le plaisir. Le Surmoi, selon cette école, n'est pas le garant du Bien, mais des biens, dont le bien-être est l'échantillon représentatif et mollasson. Tout ce qui se dresse entre l'homme et son plaisir est l'ennemi du beau et du bien - à abattre, ou faute de mieux, à neutraliser.

  La recherche du plaisir est son credo, mais pas n'importe lequel: le néo-hédoniste ne jouit que du plaisir recherché. Il aspire plus haut - ou plus bas - qu'aux arbres. Son modèle n'est pas l'homo erectus, son ambition n'est pas de procurer au ça des gratifications faciles. La route intellectuelle vers la bête est longue, qui l'emprunte tourne le dos aux origines: on ne peut pas mâtiner la bête originelle et la bête au bout du tunnel, 666 et 69.

  La civilisation va A rebours, tout ce qui est naturel lui est étranger. Dans la partie idéologique du roman, les mots de passe sont nouveauté, originalité, sensations, fascination, duplicité, préciosité, bizarrerie. Sur les traces de Des Esseintes, et parfois en plagiant Huysmans au mot près, le onzième chapitre, celui de la pratique, se lit comme le shopping list fin-de-siècle. Dorian épouse des modes de pensée et de conduite qui sont "étrangers à sa nature" - et les répudie aussitôt consommés. Il sort un temps avec le catholicisme, un autre il flirte avec le matérialisme allemand, il s'enflamme pour les parfums, puis se fait mélomane, les bijoux l'attirent un long moment, et les broderies, et les tapisseries. Quant à sa vie privée, elle est enveloppée des rumeurs du beau monde et du soufre des bas-fonds; mais à l'instar de Mr. Hyde, ses forfaits ne sont pas nommés, à quelques écarts peu méchants, tel l'usage de l'opium, près.

 

 

In vitro

 

  Tout cela est bien beau, oui, extravagant, excentrique, le dictionnaire analogique est intarissable là-dessus. Tout cela fait le "mythe" de Dorian Gray, pourtant Oscar Wilde lui consacre un chapitre de seize pages, soit 9% du livre. Mais le roman compte neuf chapitres supplémentaires et la vie de Dorian, un meurtre.

  Dès les premiers symptômes de la déchéance du portrait, Dorian jura de ne laisser personne le contempler. Vingt ans plus tard son auteur, Basil Hallward, fit irruption chez Dorian, et le sermonna sur sa vie dépravée. Dorian perdit son sang-froid et se parjura: "Tu parles de mon âme? Je te montrerai mon âme. Tu verras la chose que selon toi Dieu seul peut voir." Le peintre fut horrifié par l'état de son oeuvre, en bon chrétien il supplia son ancien modèle: "Agenouillons-nous et prions." Dorian "jeta un coup d'oeil au tableau, et soudainement un sentiment de haine incontrôlable envers Basil Hallward s'empara de lui [...] Les passions folles de l'animal traqué remuèrent en lui, et il détesta l'homme assis à la table plus qu'il n'avait détesté quelque chose de sa vie. Il regarda sauvagement autour de lui" - attrapa un couteau, et le poignarda.

  Et le roman bascule dans le cliché. Il ne faut pas jouer avec le feu, entonne la sagesse des nations. Le pyromane moral déclare l'incendie et s'en croit le maître? Qu'il sache que le feu est une boule de neige est une spirale infernale. De la permissivité à l'infamie il n'y a parfois qu'un pas de côté; l'ayant franchi, Dorian rejoint les grands brûlés de leur propre autodafé: Frankenstein, Raskolnikov, Dr. Jekyll.

  Mais y a-t-il un lien de cause à effet entre le néo-hédonisme et le meurtre? Non, tranche lord Henry, qui, tenu à l'écart du dernier exploit de son acolyte, demeure comme toujours dans l'abstraction: "Tout crime est vulgaire, de même que toute vulgarité est crime. Le crime appartient exclusivement aux ordres inférieurs. Ce que le crime est pour eux, l'art est pour nous, simplement une méthode à procurer des sensations extraordinaires."

  Jouant le rouge et le noir, Henry a raison une fois sur deux. Car si le crime est extraordinaire (même Jack l'Eventreur ne l'a pratiqué qu'une partie infinitésimale de son temps), les sensations qu'il procure sont plutôt prévisibles. Au lieu d'être le terminus du libertinage lyrique, il renvoie son auteur à la nuit des temps. A partir de l'acte fatal, le langage du roman passe dans le camp sémantique ennemi, celui de la nature abhorrée. Et le roman s'enfonce dans les verbes primaires.

  Exit l'homme sophistiqué, entre la bête traquée. La nouveauté s'éclipse devant la répétition: "on dit que la passion nous fait penser en cercle", et la beauté, devant la vulgarité: "la laideur, pour laquelle il avait autrefois de la haine, parce qu'elle rendait les choses vraies, lui est devenue chère à présent pour la même raison. La laideur est l'unique réalité." Le touriste tous risques se met à vivre dangereusement. Il ne poursuit plus des plaisirs affectés, mais des besoins ô! combien urgents. N'ayant rien désiré, il s'est permis tout; vouloir, c'est ne pas pouvoir autrement? Dorian perd son libre arbitre, il n'a plus le choix. Et quelle force gouverne l'ensemble de ses faits et gestes? "Le désir sauvage de vivre, la plus terrible des appétences."

  De la romance darwino-freudienne, Dorian Gray fait le tour guidé quoique désordonné. Il démarre amoureux, c'est donc l'instinct de reproduction qui inspire son rôle de jeune premier. Dégoûté de la banalité de sa trajectoire, il se met en quête de son je unique et solitaire; elle le mène au narcissisme, l'état que la nature combat ou vomit. Nécessité faisant loi, son acte l'assujettit à l'instinct de conservation.

  Son destin se déploie en trois temps clairement distincts: nature (nous deux), culture (je), nature (on). Or la culture se passe en surface, les passions, basses comme sublimes, nous en éloignent.

  Quand on fait sa connaissance, Dorian Gray est un quidam doté de beauté. Son crédit auprès de Basil et de Henry repose uniquement sur sa  belle gueule. Le peintre et le philosophe ne cherchent pas ce qu'il pourrait y avoir derrière, le premier, parce que l'écorce reflète l'âme, le second, parce qu'elle est le seul contenu qui vaille. Dorian prend la voie médiane. Il vend son âme pour préserver sa beauté, mais pas la même. Henry et Basil adorent la beauté d'un être en chair et en os, alors que "c'est le portrait qui lui a appris à aimer sa beauté." Ce n'est même pas une sculpture, mais un tableau, un objet en deux dimensions, qui le met devant sa vraie valeur. Henry et Basil sont réducteurs, pourtant la beauté qu'ils vénèrent est infiniment plus complexe que celle que chérit son propriétaire. "L'apprécier? Mais j'en suis amoureux, Basil. C'est une part de moi." Le peintre: "Je resterai avec le vrai Dorian."

  Le Portrait de Dorian Gray est une fable hybride, entre Narcisse et Faust. Comme Narcisse, Dorian est épris de la dimension unique en deux dimensions; mais contrairement à Narcisse, qui a la ruse d'en crever vite fait, Dorian vit trop longtemps pour ne faire que ça. De même, entre les deux marchands d'âme, c'est Faust qui a de loin fait le meilleur pacte. Le sien est une assurance-vie, et longue, car qu'est-ce qui ne tombe pas sous la coupe de la connaissance? Le contrat de Dorian Gray, par contre, lui laisse la marge la plus étroite: peut-on meubler une vie avec de la beauté? Il est du coup condamné à des activités en 3D - mais sans céder à la tentation des profondeurs pour autant.

  Et le portrait encaisse. Est-il plus sensible aux artifices qu'aux vices? Non, il enregistre les jours qui passent, point. J'en veux pour indice le fait que le meurtre ne l'a pas affecté outre mesure, si ce n'est une tache rouge sur l'une des mains, en hommage à Lady Macbeth. Même si Dorian avait mené une vie de saint, ses traits peints auraient pris de la bouteille, c'est dans le contrat.

  Au long de sa carrière d'agent double, tout, chez Dorian Gray, est affaire de texture. Face à l'énigme qu'il représente, les autres sont réduits aux spéculations et au commérage, mais ce qui est caché pour le monde s'étale devant ses yeux nus. Les oppositions classiques - paraître / être, dehors / dedans, corps / âme - sont objectivées sur le tableau.

  Dans un accès de colère et de rime? On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, à moins de s'appeler Mohamed Ali: "Je danse comme un papillon et pique comme une abeille." Pourtant Dorian Gray se permet de parler d'"expériences passionnées", au onzième chapitre, de surcroît, soit celui qui se lit comme le manuel du blasé. Expérience passionnée... et pourquoi pas orgasme maniéré? Le douzième chapitre le ramène à la déraison, c'est-à-dire au n'importe quoi.

  Sa vie se jouait dans la partie émergée de l'iceberg. A la première alerte, il fait naufrage, une crise de démence et le dandy plonge, il ne refera plus surface. Plus je vais au fond de moi-même moins je suis seul, en s'enfonçant Dorian rejoint la canaille. Affolé, il a les mêmes réflexes qu'Edward Hyde, dont l'amour pour la vie est merveilleux.

  La civilisation élargit la gamme mais baisse la flamme. Ou vice versa: c'est la coupe à moitié vide ou à moitié pleine. Certes, les pôles pulsionnels mènent en abîmes et aux cimes, les tropiques, à des monts et vallées. Mais ce qu'on perd sur les extrêmes, on le retrouve au centre, multiplié par mille. Nos ancêtres les primates n'ont connu qu'euphorie et abattement, alors que notre journée est si riche en nuances.

  Intensité ou ipséité, on ne peut pas danser dans deux noces (dicton hébreu). La volonté de puissance nous oblige à descendre au fin fond de la langue, chez les verbes précambriens. Le sondage est souvent couronné de succès; mais en plein boom, le déjà-vu nous guette, la suspicion: ce n'est pas moi!, et l'anonymat, par-dessus le marché. A celui qui cherche à se faire un nom sous le soleil, la palette culturelle offre d'innombrables verbes de la dernière pluie. Les plaisirs qu'ils procurent n'écrasent ni n'encensent, mais il n'y a qu'eux qui donnent accès au quart d'heure de gloire. L'art seul est à même d'offrir à la copulation un répit bien mérité de sa facture de génial banal, voir Sade & al.

  Pour qu'une passion dure ne serait-ce que deux heures par jour - la monomanie est une activité à temps partiel - il faut la puiser dans le fonds commun: amour, jalousie, honte, haine, peur... Narcisse s'évertua à calquer sa longévité sur son idée fixe; pour nous autres, fonds commun signifie, dix fois sur dix, se faire scaphandrier. A l'individu l'authenticité, à la personne le masque.

  La lutte folle de Dorian pour sa vie ne rime à rien, si ce n'est à son maintien. Y ayant investi tout son capital du moi, Dorian émerge de l'épreuve platement profond. Assassin, il perd son goût du beau jeu, pire, il devient spontané. Dans la galerie des scélérats poétiques et des bouchers maniérés, il occupe un strapontin à peine. Dorian fut d'or et grec, Gray est gris et victorien.

 

 

In vivo

 

En pleurant il

me fait chanter

 

 

  J'ai déclenché la guerre des clichés. Buffon: le style est l'homme même. Sagesse des nations: c'est dans la crise que se révèle la véritable nature de l'homme.

  Parlent-ils du même homme? Oui, mais Buffon vise l'homme au singulier, on, l'homme en général. Dorian Gray, héros & cobaye, eut le privilège de tester la première thèse puis la seconde. Avançant sur la voie frayée par sa créature, Oscar Wilde vit sa vie se transformer en laboratoire sauvage, il finit par sanctionner les deux thèses de son calvaire.

  Le Portrait de Dorian Gray est un mélange insolite de self fulfilling prophecy et de voeux pieux. Pendant une quinzaine d'années, la vie de Wilde était l'épitomé de la fin-de-siècle, pas un de ses aspects n'en fut absent. Pour ses contemporains il était le décadent par excellence, et le dandy, et l'efféminé. On l'accusait de tous les maux, depuis le manque de sérieux jusqu'à l'outrage aux valeurs. Selon le docteur Max Nordau, Oscar Wilde représentait le symptôme le plus alarmant de la Dégénérescence (1895) de l'Occident.

  Comme pour fêter la parution du pamphlet de Nordau, les Victoriens réglèrent enfin ses comptes à leur bête rose. Au début de cette année, Wilde fut traîné en justice par le père de Douglas, son insignifiant amant, à grands coups de publicité. Et le 25 mai 1895, la cour le trouva coupable de comportement indécent avec un mâle et le condamna à deux ans de travaux forcés. La presse salua le verdict: "Le culte esthète, dans sa forme nasty, est fini", titra The News of the World, et le Daily Telegraph: "Ouvrez les fenêtres! Laissez l'air frais entrer!"

  Un mois plus tôt, écrivant à son frère William, Henry James ouvrit les paris sur Wilde dans son style inimitable, et si souvent plagié: "Sa chute est hideusement tragique - et sa violence malsaine lui donnent un intérêt (de misère) qu'il n'a jamais eu pour moi - d'aucun degré - auparavant. Curieusement, je crois qu'il pourrait avoir un 'avenir' - en quelque sorte - par réaction - quand il sortira de prison - s'il survit à l'horrible sentence de travaux forcés qui sera probablement prononcée." Dit en prose: Wilde sera sauvé par l'expérience carcérale. Sauvé de quoi? De la superficialité, état selon James déplorable chez tout un chacun, terminal chez un écrivain.

  Bien vu, et mal. Oui, la prison transforma Wilde, oui, elle l'enfonça, dans le sens plein du verbe. Mais il n'en revint intéressant que pour la psychologie, pour une de ses branches qui n'a jamais attiré James, la traumatologie, qui plus est. Jusqu'au procès, Wilde garda sa superbe intacte, de même il y eut de la grandeur dans son refus de fuir à l'étranger. Mais  celles-ci s'évanouirent une fois le verdict prononcé et la peine appliquée. Au fond du trou, il ne fut plus question de pyrotechnique et de mise-en-scène. Singeant son personnage, il devint l'esclave de ses instincts. Mais là où Dorian Gray livra bataille, Oscar Wilde offrit sa démission. Le héros aux abois révéla son merveilleux égoïsme et son inscription dans l'instant, il se fit maître-chanteur. Dans sa détresse, l'humain ne sut que gémir, il ne s'en priva pas.

  Comment continuer la mascarade quand le temps se fait gros? La crise, en nous pelant, dénivelle les valeurs, sous l'eau tous les icebergs sont mouillés. Hors de la surface, Oscar Wilde perdit la face. Les situations extrêmes ne lui portèrent pas honneur, si ce n'est celui de la martyrologie. C'est une loque qui resta tapie dans la cellule à Pentonville, à Wandsworth, à Reading, c'est un zombi qui hanta les rues et les cafés de Paris jusqu'à sa mort clinique, constatée le 30 novembre 1900.

  L'homme qui se fia aux apparences nous épate. De Profundis, il nous touche. Ecrasons une larme, et lisons son épitaphe:

Ci-gît Oscar Wilde. Il mit

Son talent dans son oeuvre,

Son  génie  dans  sa  vie,

Le pathos dans son agonie.

  L'épitaphe réellement gravée sur sa pharaonique tombe, au Père-Lachaise, ne manque pas de sel sur ses plaies: "Auteur de Salomé et d'autres belles oeuvres [other beautiful works]. Il naquit à Dublin, le 16 octobre 1854 [suivent six lignes qui détaillent les médailles et les prix que Wilde remporta durant sa scolarité, jusqu'à sa sortie d'Oxford en 1878]. Il mourra fortifié par les sacrements de l'Eglise, le 30 novembre 1900, à l'Hôtel d'Alsace, 13, rue des Beaux-Arts, Paris." Le texte s'achève par une citation de Job (en latin, pour faire authentique), et un poème larmoyant.

  Que justice lui soit rendu. Le poète prémonitoire d'avant 1895 aurait pu avoir le mot de sa fin sans que sa mémoire n'en prenne un sale coup et bas: "Il arrive souvent que les véritables tragédies de la vie aient lieu d'une manière si inarticulée qu'elles offensent par leur violence crue, leur incohérence absolue, leur absurde absence de sens et leur total manque de style."

  La véritable tragédie de la vie d'Oscar Wilde est de n'en point avoir été une. Ce n'est pas son drame qui est en cause, mais sa trame. L'écrasement de nos semblables nous pince le coeur, leur embrasement nous fait cligner de l'oeil, mais l'humaine condition n'est exportable qu'en vers. Sans Shakespeare, Othello le Maure serait enseveli dans la rubrique des faits divers, le Prince Hamlet, dans les manuels de psychiatrie et Richard III, dans les livres d'histoire. Ou vice versa. Les passions d'autrui sont à consommer avec modération, noir sur blanc, ou à l'écran.

 


 

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Nogaye asked:
La historia de un esdituo de disef1o en BarcelonaUna novela, The Picture of Dorian Gray (El retrato de Dorian Gray), arropa el trabajo de Cla-se. Juventud y lenguaje visual son dos conceptos importantes en esta obra de Oscar Wilde, y tambie9n en el deda a deda de Cla-se. Cla-se sigue adelante en el terreno de la comunicacif3n gre1fica con un planteamiento multidisciplinar, dine1mico y en constante evolucif3n, con su particular defensa de la tipografeda y del elemento sorpresa y con un tratamiento coherente y riguroso de las necesidades propias de cada encargo. Sus integrantes creen en el packaging, juegan con la identidad, se divierten con la edicif3n, ven la direccif3n de arte como un estedmulo… Me1s cerca de la asociacif3n que de la empresa piramidal, su filosofeda es alejarse de lo publicitario para acortar distancias con la realidad.
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