Epreuve: service après Election

 

 

EPREUVE: SERVICE APRES-ELECTION

 

 

  Au dernier chapitre du livre qui porte son nom, Job recouvre peau et pot. Il est de nouveau entouré de brebis, de chameaux, de boeufs et d'ânesses, sans parler des sept fils et des trois filles, quoique pas les mêmes. Est-il au bout de ses déboires? Non, car le glaive délaissé par Dieu et Satan est repris de plus belle par les Sages de Sion.

  Sus! C'est Rabbi Akiva (mort en 135), une des sommités du Talmud, qui sonne la charge. Il fait preuve d'une fureur exemplaire, dont voici un premier échantillon, et déjà dévastateur: "Le roi eut quatre fils. Un fut battu et se tut, c'est Avraham. Un fut battu et donna des coups de pied, c'est Job. Un fut battu et supplia, c'est Ezéchias[1]. Et un fut battu et dit à son père: bats-moi[2] -, c'est David.[3]" Comme il est écrit que "celui qui se révolte [littéralement: qui lance des coups de pieds] contre la souffrance, on la lui décuple[4]", Job l'a bien cherché...

  Quand le malheureux est admis en la bonne compagnie d'un patriarche et de deux monarques, c'est dans le rôle du méchant, autant l'éconduire séance tenante en enfer: "R. Akiva disait aussi: Cinq châtiments durerènt douze mois: celui de la génération du déluge, celui des Egyptiens, celui de Job, celui de Gog et Magog dans les temps à venir, et celui des impies dans la Géhenne.[5]"

  Qu'est-ce qui a valu à Job, un homme bien sous toutes les coutures, des coups aussi vils? Le fait que son nom se greffe à celui d'Avraham. Tout lecteur de la Bible, tel le chien de Pavlov, en entendant "Job" bave "Avraham", en glosant "infanticide" laisse échapper "deuil et chechine".

  Les deux récits sont à ce point indissociables qu'il arrive aux rabbins de compléter celui de la Genèse, particulièrement chiche en détails[6], par des tuyaux empruntés au livre de Job, mieux informé. Ainsi Satan serait déjà l'instigateur de la ligature d'Isaac: "'Et après ces paroles, Dieu éprouva Avraham'[7]. Après quelles paroles? Les paroles de Satan, dit R. Johanan au nom de R. Yossi b. Zimra." Comme pour marquer sa paternité, le Malin se présenta auprès d'Avraham, qui était en route vers le Mont Moriah, et lui récita des versets de Job...[8]

  Le Talmud ne peut tolérer la logique biblique, pourtant irréfutable, qui associe les deux, en donnant même une légère avance à Job. Pourquoi la tête de Job est-elle mise à prix? Parce qu'il risque de faire concurrence à Avraham, voire de le battre carrément. Mais dans quel sport, bon dieu? Dans le sport biblique par excellence: l'épreuve.

 

 

 

"Te torturer et t'éprouver,

te faire du bien à ta fin"[9]

 

  Des os de la Bible - ils déborderaient la vallée d'Ezéchiel - le presque sacrifice d'Isaac est de ceux qui ont agacé le plus de dents, ces derniers millénaires. Chez les laïques, c'est l'indignation devant la main du père portée sur la gorge du fils qui l'emporte. Mais le croyant, le théologien, le bon lecteur, surtout, qui ne lit que les lignes, s'exclament en choeur, incrédules: Dieu éprouve?

  Imputer à Dieu une épreuve dans le sens lexical du terme: "reconnaître par une opération si une chose a la qualité requise" (Littré) - signifie qu'Il en ignorait l'issue, ce qui est en contradiction avec Son omniscience. Car s'Il ne revendique pas officiellement la connaissance de l'avenir, Dieu ne se vantant que de Sa voyance synchronique: "J'examine le coeur et sonde les reins"[10] -, elle découle néanmoins de Sa marque de fabrique: être un (et déjà être). Sa perfection Le met dans l'impossibilité logique de tout changement, la surprise devant un événement inconnu, par exemple.

  Comme Dieu ne peut éprouver qu'en connaissance d'effet, Il serait coupable de torture gratuite. Le substantif, passe encore, qui n'est qu'en contradiction avec Sa prétendue bonté. Mais l'adjectif est carrément blasphématoire: L'accuser de redondance, Lui qui est plein à craquer?! Le test serait même doublement gratuit, Avraham ayant été élu précisément parce qu'il était porteur de la qualité requise.

  La racine N.S.H. (éprouver, tester, essayer) en général, le verset "Dieu éprouva [nissah] Avraham", en particulier, ont donné lieu à une mobilisation exégétique générale, elle n'a toujours pas été levée. Dieu ne pouvant rien tirer d'une épreuve, qui pourrait en être le bénéficiaire? Les commentaires se sont polarisés, comme souvent, autour des deux piliers de la pensée juive que sont le Rambam (Maïmonide) et le Ramban (Nahmanide): le premier vote pour la communauté scientifique, le second, pour le cobaye.

  Maïmonide: "Sache que toute épreuve dans le Pentateuque n'a d'autre but et d'autre objet que d'apprendre aux hommes ce qu'ils doivent faire ou ce qu'ils doivent croire"[11]. Son disciple Abarbanel assied cette thèse sur un jeu de mots: "L'épreuve ne signifie pas un test qui apprendrait à Dieu ce qu'il ne sait pas déjà... Mais 'Dieu éprouva' vient de 'nes' [miracle et étendard], l'acte accompli par Avraham se dressant en étendard des peuples, un drapeau élevé que les nations réclameront et poursuivront."

  Que la ligature d'Isaac suscite Effroi et tremblement est par tous acquis. Mais ceux qui ne retiennent que cet exploit se trompent d'éloge. En en faisant une leçon de morale, ils renvoient le plus beau spécimen du laboratoire biblique parmi les expériences didactiques - les expériences pour croire. Ce sont les moins cotées en science, car plus proches de la prestidigitation que de la connaissance; elle ne servent pas à l'éclosion de la vérité, juste à sa propagande.

  Et Nahmanide de défendre les couleurs du cobaye: "Le centre de l'épreuve est, selon moi, le libre arbitre de l'homme: le veut-il? il le fera, ne le veut-il pas? il ne le fera pas; appelons-la donc épreuve du côté de l'éprouvé."[12]

  "Toutes les épreuves de la Torah sont pour le bien de l'éprouvé." Par ce dogme, Nahmanide permet au laboratoire biblique de s'émanciper du statut subalterne où l'ont cantonné Maïmonide et Kierkegaard. Attention, s'empresse-t-il d'ajouter, tous les tests ne se valent pas. La plupart appartiennent aux expériences pour voir: "Il n'y a pas de créature que le Saint bénit soit-Il n'éprouve pas; ainsi éprouve-t-il le riche pour savoir s'il est généreux envers les pauvres; et le pauvre pour savoir s'il est capable de souffrir sans râler."

  Car tester, chez Jéhovah, est une seconde nature, la preuve, Il s'y met avec le premier créé: "Dieu prit Adam et le plaça dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder. Et Dieu ordonna à Adam: De tous les arbres fruitiers du jardin tu pourras manger. Et de l'arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu mourras." [13] Dieu met Adam devant un dilemme classique, les psychologues expérimentaux en provoquent de semblables chaque jour en laboratoire: se contenter du permis, ou se focaliser sur l'interdit? Depuis le huitième jour de la création, la conclusion n'a pas varié: non! est la figure et pourquoi pas?, le fond. La femme de Barbe-Bleue finit par ouvrir la seule porte du palais dont son mari lui a défendu l'entrée; pour Hippolyte, s'abstenir des femmes en général est une partie de plaisir, mais il trouve irrésistible Aricie, la seule que son père, Thésée, l'a abjuré de ne pas convoiter.

  L'homme créa Dieu à son image, lui non plus ne cesse de tester et d'être testé, il a l'essai et l'erreur dans les synapses. Parce que les expériences à but recherche sont gouvernées par le anything goes de Paul Feyerabend, elles occupent le ventre mou du championnat.

  Peu, très peu d'épreuves méritent le titre d'expériences à but preuve, la cerise sur le gâteau scientifique. Mais qu'est-ce qu'un cobaye biblique a à prouver? "L'Expérimentateur, béni soit-Il, lui ordonne de passer du virtuel à l'actuel, pour qu'il touche le salaire du bon acte plutôt que celui du bon coeur seulement." Toutes les parties immergées des icebergs se valent; pour se mouiller, il faut sortir de l'eau ne serait-ce que le bout de son nez, on ne se fait pas un nom avec son complexe d'Oedipe.

  Dans la Bible comme dans la science, l'expérience pour voir est la norme et l'expérience pour savoir, l'exception. Adam, le créé, bénéficie d'un test banal; Avraham, l'Elu, de l'épreuve cruciale.

  Mais comment peut-on affirmer que "toutes les épreuves de la Torah sont pour le bien de l'éprouvé", quand on en connaît l'exorbitant prix? Le Ramban est-il dans le délire? Il se peut; mais le Livre l'y accompagne. Caressons le vice dans le sens du poil: je suis du voyage. Et qui sait, le lecteur et la philosophie de la science risquent de nous rejoindre en route.

 

  Quel que soit le but de son calvaire, le cobaye doit être ce qui se fait de mieux sur le marché. Le dieu pédagogique de Maïmonide s'acharne sur l'élève doué qui, en réussissant un gros truc, épatera ses condisciples et servira de modèle jusqu'au jugement dernier. Le dieu savant de Nahmanide tourmente son favori, car c'est de son bien seul qu'Il se soucie.

  Le recensement des cobayes bibliques, dont le statut est corroboré soit par la racine NSH, soit par l'évidence textuelle, est vite fait: Avraham, Job, le peuple d'Israël. "Le potier ne vérifie pas les jarres délabrées. Lesquelles vérifie-t-il? les belles jarres" (Ramban). Il en va de même du Créateur, qui ne met à l'épreuve que le juste.

 "Dieu teste le juste, et déteste le méchant et le spoliateur."[14] Quant à nous, dit R. Yanaï, "qui n'avons pas accès à la quiétude des méchants et ne touchons pas aux souffrances des justes"[15], Dieu ne nous convie jamais à son laboratoire.

  Dans une scène droit tirée d'un film S&M, David, le masochiste, implore: "Teste-moi, Adonaï, et éprouve-moi!"[16], mais Dieu, le sadique, reste de marbre. David n'a pas été jugé digne de la torture divine; mais contrairement aux autres laissés-pour-compte, ils sont légion, dans son cas ce n'était que partie remise. Ce qu'il a raté de son vivant, il l'a rattrapé par procuration, un de ses lointains descendants s'en est chargé.

  Il est plus facile de reconstituer la morphologie du conte à partir d'un pastiche. Soit les Evangiles, ils ne s'embarrassent point de nuances. Un sol que l'Ancien Testament défriche avec d'infinies précautions, le Nouveau l'irrigue en un tournemain. Une fois Jésus baptisé, une voix déclara: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection. Alors Jésus fut emmené par l'Esprit dans le désert, pour être tenté par le diable [ha-menasseh, l'expérimentateur]." Ayant surpassé son aïeul, Ben-David - le Fils de David - put se lancer dans la carrière de Messie: "Alors le diable le laissa. Et voici que les anges s'approchèrent pour le servir."[17]

 

 

"Confondrais-je Job (Iyov) et ennemi (oyev)?"[18]

 

- Dieu ne teste que le juste.

- Dieu teste Job.

-> Job est un juste.

  LE Juste. L'épreuve, toute axiale qu'elle est dans l'histoire d'Avraham, n'en constitue qu'un chapitre, alors que l'épreuve de Job et son livre font un. Avraham a, entre autres, été mis à l'épreuve, Job n'a fait pour ainsi dire que ça. Avantage Job.

  Ce compagnonnage est indigeste, alors voir Job installé sur son piédestal dépasse l'entendement, même celui du Malin. "R. Lévi dit: Satan avait l'intention de servir le Ciel [sic]. Il a remarqué que le Saint, béni soit-Il, favorisait Job. Il se dit: Il est à craindre qu'Il oublie l'amour d'Avraham. Lorsque R. Aha b. Jacob fit ce commentaire à Papounia, Satan vint lui baiser les pieds."[19]

  On ne comprendra pas cet acharnement sans relever le point névralgique de l'affaire: la nationalité de Job. C'est de loin ce que les rabbins trouvent le plus scandaleux - mais qui en même temps leur octroie cette liberté exégétique si choquante à nos yeux: "R. Hanina dit: Il était un non-juif [goy haya]. R. Hiya renchérit: le Saint, béni soit-Il, dit: Un goy juste s'est dressé devant moi parmi les nations, je lui ai donné son salaire et l'ai dispensé. Qui est-ce? Job."[20]

  Trois Outz - Job est originaire du pays qui porte ce nom - sont mentionnés dans la Genèse: le premier est fils d'Aram, le benjamin de Sem - alors qu'Avraham descend d'Arpakchad, troisième fils de Sem; le deuxième est fils de Nahor, frère d'Avraham; et le troisième est le fils d'Esau, petit-fils déshérité d'Avraham[21]. Quoique les trois soient Sémites, et même parents de la lignée, pas un n'est des "nôtres".

  Après avoir brièvement caressé l'espoir de le circoncire, les rabbins se plient à l'évidence textuelle: goy haya. Pourtant ils ne sont pas définitivement résignés. Un anonyme croit sauver la mise par une pirouette très moderne: "Job n'a jamais existé, il est une parabole."[22] La piste est bonne, car comme chacun sait, on ne peut comparer que les choses comparables, donc pas un être historique et un être fictif. Mais menant au score à la quatre-vingt-dixième minute, les rabbins manquent rarement une occasion de marquer un but contre leur camp, ce qui leur assure une prolongation qui dure toujours. Et R. Samuel d'avancer un contre-argument qui annonce l'effet de réel de Roland Barthes: "Si tu dis vrai, pourquoi le nom de Job ainsi que sa ville sont-ils mentionnés?" - les détails d'un récit sont autant de symptômes de son historicité.

  Ceci dit, la désincarnation de Job est trop tentante pour être définitivement écartée: "Reish Lakish disait: Job n'a jamais existé. Qu'est-ce qui n'a jamais existé? Les souffrances que les Ecritures lui attribuent. Et pourquoi lui sont-elles attribuées? Parce que si elles lui avaient été infligées, il les aurait endurées."[23] De même, "Job n'a jamais existé, il est une parabole" est devenu un proverbe célèbre. Mais le Talmud, qui laisse bien des questions en suspens, ici ne tolère pas le match nul - teiko, dans son jargon. En l'absence d'un consensus sur l'ontologie de Job, il faudra désamorcer la bombe par des moyens autrement radicaux.

  Les rabbins auraient tant désiré l'évincer manu militari du canon. Mais la tradition, en affirmant que "Moïse écrivit son livre ainsi que le chapitre de Balaam et le livre de Job"[24], oppose son veto.

  Ils cherchent alors à l'attaquer texte à l'appui, mais celui-ci fait de la résistance. Ainsi R. Johanan b. Zakaï, fondateur de l'école de Yavneh (Ier siècle), "enseigna toute sa vie" que seule la peur motiva Job. Mais R. Méir (IIe siècle) lui signala par voie de glose qu'"on trouve l'expression 'craindre Dieu' à propos de Job[25] et à propos d'Avraham[26]. Comme la crainte qu'Avraham avait de Dieu venait de son amour, il en est de même de Job." [27]

  Impossible n'est pas talmudique. Les lignes se révélant de fausses alliées, les rabbins se glissent dans les interstices. Et comme le sait le lecteur de Clefs, il suffit de plonger pour que tous les espoirs soient permis. Afin de protéger le label "Avraham", ils assènent à Job des coups plus bas, plus profonds les uns que les autres.

  Rabbi Akiva mène le bal avec la hargne que l'on a vue. Rabba, une autorité du IIIe siècle, joue avec les lettres pour créer l'anagramme                   , soit Iyov (Job en hébreu) et oyev (ennemi)...[28]

  Comme il leur est difficile de faire pire, leurs disciples respectifs mettent un peu d'eau dans ce vin aigre. Les uns se contentent d'une dépréciation en douceur, mais ne contestent pas à Job une certaine valeur. "Quand est arrivée la catastrophe, Job dit au Saint, béni soit-Il: Maître de l'Univers, n'ai-je pas nourri les affamés, abreuvé les assoiffés et habillé les nus? Dieu dit à Job: Job, tu n'as pas encore atteint la moitié de la stature d'Avraham. Toi, tu recevais les nécessiteux chez toi, alors qu'Avraham est allé les chercher par le monde."[29]

  D'autres n'ont pas cette élégance. "R. Lévi dit: Deux hommes ont dit la même chose: Avraham et Job. Avraham dit: 'Loin de toi de faire une telle chose: mettre à mort le juste avec le méchant.'[30] Job dit: 'Il extermine l'innocent avec le méchant'[31]. Avraham a été rétribué pour ce propos alors que Job en a été puni, Avraham l'a mangé mûr et Job l'a avalé vert."[32]

  "Selon R. Hiya ben Abba qui cite R. Johanan, trois hommes étaient au courant du dessein de Pharaon: Balaam, Job, et Jéthro. Balaam, qui donna lui-même ce conseil, fut tué; Job, qui se tut, fut puni par les malheurs; et Jéthro, qui s'enfuit, fut récompensé à travers ses descendants."[33]

  Le dossier d'instruction contre Job est bouclé. Mais à force de lui avoir collé des crimes plus ignobles, plus absurdes les uns que les autres, le Talmud manque complètement sa cible, car il confirme ce qu'il cherchait à combattre: l'épreuve est bel et bien la marque du juste.

 

 

 

La purification éthique

 

  Le cercle vicieux. Pour mériter la foudre de Dieu, il faut qu'il y ait d'abord un coup de foudre, pour qu'Il l'éprouve, le cobaye doit déjà en être l'Elu.

  Le vice de forme. En démocratie de marché, la hiérarchie se dégage par la compétition, et Dieu trie d'abord, teste ensuite. Ayant désigné le concurrent, Il le met en prise avec lui-même, et que le meilleur gagne!

  Le suffrage universel abhorre la case vide. Sur les cinq cent soixante-dix-sept sièges de l'Assemblée Nationale, pas un n'est vacant, mais combien sont pourvus par défaut? Dans la Bible, tout se joue entre le Grand Electeur et le candidat unique, ça passe ou ça casse.

  L'échelle de Richter monte jusqu'à neuf; binaire, l'échelle de Jacob ne reconnaît que le zéro et le un.

  Il y a l'ordre moral: appel d'offres, concours, vainqueur. Il y a l'ordre divin: Election, essai, vainqueur. Et l'ordre expérimental, de qui tient-il le plus?

 

  "Teste-moi, Adonaï, éprouve-moi, affine mes reins et mon coeur." En acquiesçant, Dieu parie: celui-ci est de l'or brut, assistons-le dans sa marche vers le net. Car le cobaye a beau être juste, il n'est pas que ça, même un Kafka n'était Kafka que deux heures par jour. L'épreuve est son stage de perfectionnement, une machine à éradiquer les accidents, ou tout du moins à les neutraliser.

  Le juste est un gisement pétrolier qui aspire à l'essence. Il a du plomb dans l'aile, Dieu le distillera et le distillera encore, en raffinerie biblique sky is the limit: ramper pour mieux voler.

  "Teste-moi, comme de l'or je sortirai."[34] Job croit que la main de Dieu ne fait que révéler l'enfoui, il se trompe: le pur n'est pas une donnée de la nature, il n'advient que sous la torture; le fin justifie les moyens.

 Longtemps grenouille, le prince, au baiser rédempteur répondra deux fois quoi. Et qui l'obligera à coasser "moi"? L'expérimentateur pro. La science est de l'alchimie qui marche.

  Dieu en son domaine, le scientifique parie que X existe, et qu'à force de le manipuler il sera. Dis "je", ordonne Pasteur au ferment lactique; accident sur ton parcours, je te mènerai du devenir à l'être[35].

  "A mesure que tu augmentes les négations à l'égard de Dieu tu t'approches de la perfection."[36] La science est une théologie négative, elle cherche à débarrasser ses objets de plus de prédicats que possible, jusqu'au trou noir si cela se trouve. Qu'est-ce qu'expérimenter? Convier le complexe à l'épreuve du simple, l'humain trop humain au contact de l'Un.

 

 



[1]. II Rois II, 3.

[2]. Psaumes XXVI, 2.

[3]. Semakhot, 8.

[4]. Tana debi Eliahu, 2.

[5]. Edouiyoth, 8b.

[6]. Erich Auerbach, Mimésis.

[7]. Genèse XXII, 1.

[8]. Sanhédrine, 89.

[9]. Deutéronome VIII, 16.

[10]. Jérémie XVII, 10.

[11]. "Le vrai sens de l'épreuve", Le Guides des égarés, III, § 24.

[12]. Nahmanide, Commentaire sur la Genèse, XXII.

[13]. Genèse, II, 15-17.

[14]. Psaumes XI, 5.

[15]. Pirkeï Avoth, 4.

[16]. Psaumes XXVI, 2.

[17]. Matthieu III, 17 - IV, 1-11.

[18]. Baba Bathra, 16b.

[19]. Ibid, 16a.

[20]. Ibid, 57.

[21]. Genèse X, 22-23, XX, 21, XXXVI, 28.

[22]. Baba Bathra, 15.

[23]. Bereshit Rabah, 57.

[24]. Ibid, 15a.

[25]. Job I, 1.

[26]. Genèse XXII, 12.

[27]  Sota, 31. Un autre R. Johanan va plus loin, qui dit: "Ce qui est dit de Job a plus de poids que ce qui est dit d'Avraham, dont il est écrit 'Car je sais maintenant que tu crains Dieu'..." (Baba Bathra, 16a).

[28]. "Bein Iyov ve-oyev nitchalef li? (confondrais-je Job et ennemi?)", Baba Bathra, 16b. Le coup est d'autant plus fourré que l'idée est piquée à Job lui-même: "Pourquoi caches-tu ton visage et me considères-tu un ennemi", XIII, 24.

[29]. Avoth derabenou Nathan, 7.

[30]. Genèse XVIII, 25.

[31]. Job IX, 22.

[32]. Bereshit Rabah, 49.

[33]. Sota, 11a.

[34]. Job XXIII, 10.

[35]. "Oui, il faut bien l'admettre, le jeune Louis Pasteur de Lille compte comme un épisode dans la destinée, dans l'essence, dans la trajectoire du ferment lactique." Bruno Latour, "Les objets ont-ils une histoire? Rencontre de Pasteur et de Whitehead dans un bain d'acide lactique", in L'Effet Whitehead, Paris, 1994.

[36]. Maïmonide, "Les attributs négatifs", Le Guide des égarés, I, § 59.

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poker room asked:
8/16/2007
Hacer asked:
My question as well, Tom.However, one aitnreatlve might be inspired fiction although this is appropriate, I would think, to Job or Jonah. It perhaps applies to the Genesis creation stories, but I too think myth is a better word for these.BTW, mythos is only used five times in the New Testament, and, indeed, it is used in these instances to denote something that is opposed to the Christian Gospel in terms of truth, largely, I think, in order to defend the absolute historicity of the death and resurrection of Christ. The KJV translates it each time as fable .While the English myth is indeed derived from mythos , I'm not sure that the current technical definition corresponds to what the Biblical writers were talking about as something negative.
5/9/2012
Hacer asked:
My question as well, Tom.However, one aitnreatlve might be inspired fiction although this is appropriate, I would think, to Job or Jonah. It perhaps applies to the Genesis creation stories, but I too think myth is a better word for these.BTW, mythos is only used five times in the New Testament, and, indeed, it is used in these instances to denote something that is opposed to the Christian Gospel in terms of truth, largely, I think, in order to defend the absolute historicity of the death and resurrection of Christ. The KJV translates it each time as fable .While the English myth is indeed derived from mythos , I'm not sure that the current technical definition corresponds to what the Biblical writers were talking about as something negative.
5/9/2012
ixtaecw asked:
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1/31/2017
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