Clefs III: Se faire un nom

(S) SE FAIRE UN NOM

 

 

(P) Pour se faire un nom, il suffit de dire Oui ou Non

- et le reste du temps?

 

   Tous les hommes ont un nom, encore faut-il se le faire.

   Tous les hommes ont un nom donné (given name), peu ont un nom acquis.

   L'individu a un nom donné, la personne dit:

(P) A bas les droits innés!

   Le nom donné est holiste, il désigne l'ensemble des éléments qui constituent l'individu, sa foi, son foie, sa peau et sa déclaration d'impôts.

   On ne se fait pas un nom avec l'ensemble de son être, juste avec une infime partie de cet ensemble.

   En se faisant un nom, l'homme se scinde en deux: l'élite de sa personne se fédère sous le nom acquis, la plèbe s'amoncelle sous le nom donné.

   Le nom donné accorde à celui qui le porte carte blanche, il couvre par avance tout ce qui colle à l'individu.

   Le nom acquis sert à celui qui se l'est fait de carte noire, il élimine tout ce qui ne porte pas sa griffe.

   Le nom donné est niveleur, des éléments qu'il désigne, nul n'a plus le droit de le revendiquer qu'un autre.

   Partiel et partial, le nom acquis ne désigne que la partie à même de faire le vide autour d'elle.

   La partie d'abord tient lieu du tout, puis dit "Le tout, c'est moi", et finit par déclarer: "Ce qui n'est pas moi n'en fait pas partie", ainsi mettre le feu au temple de Thèbes est Erostrate.

 

   Tous les citoyens ont le droit à la signature, et même le devoir.

   La signature est la marque obligatoire, donc non-marquée, de l'individu, comme ses empreintes digitales et dentaires, comme son code génétique.

   "Lu et approuvé": l'individu adulte appose sa signature partout sur son passage, la signature est de nos jours une nouvelle forme d'anonymat.

   Le citoyen signerait son nom donné, l'artiste, son nom acquis, qui dira la différence?

   En signant, l'artiste participe de la logique démocratique, le style, qui est l'homme même, l'en dispenserait.

 

 

Van Gogh se fait un nom

 

   Une exposition rétrospective, La passion selon Van Gogh, 1853-1890, divise sa vie en cinq chapitres. Le premier, 1853 à 1888, a pour titre: "Van Gogh avant Van Gogh", les autres chapitres se partageant "Van Gogh pendant Van Gogh"...

   De cette absurde  division s'ensuit que la tranche 1888-1890 est propriétaire de la marque "Van Gogh". Absurde, en apparence seulement: le nom acquis constitue la minorité de blocage de l'être.

 

   Le nom acquis est rétrospectif, il réécrit une vie en termes téléologiques, les éléments qui n'entrent pas dans son giron sont déclarés déchets non recyclables (voir Borgès, "Kafka et ses précurseurs").

   La tranche 1888-1890 semble dire: Ce qui m'est antérieur et qui ne peut pas s'accrocher à mon wagon n'est pas Van Gogh - n'est que du Van Gogh donné.

   Le nom acquis est un attracteur étrange, dans l'amas de l'être il opère un cruel tri, ce qui n'y est pas aspiré est refoulé il ne retournera plus.

   Comment résister à la tentation, commune au porteur du nom acquis et à ses hagiographes, de sacrifier, de l'ensemble de sa vie, autant que peu se peut?

   Ainsi, depuis 1890, le culte de Van Gogh consiste à accumuler sous ce nom tout ce qui le concerne, comme si Van Gogh de tous temps ne faisait que du Van Gogh.

 

(P) Même un Kafka n'était Kafka que deux heures par jour, un Hamlet, deux heures tout court

- un Van Gogh qui ne fait que du Van Gogh deux ans durant serait déjà un surhomme, alors du berceau au tombeau?

   (------              ) En attrapant trop tu n'as rien attrapé.

   De la perméabilité entre le nom acquis et le nom donné l'entropie seule sort renforcée.

   A force de mettre de l'eau dans son vin, le nom acquis de trou noir devient foutoir.

   Pour ne pas compromettre le nom Van Gogh, si chèrement acquis, il faut l'isoler de tout ce qui ne relève que du nom Van Gogh donné,

   (S) Loué soit-Il qui isola le sacré du profane.

 

 

Van Gogh est le style même

 

 

   "Comment le Van Gogh de 1890 est-il devenu le Van Gogh de 1991?" (Nathalie Heinich, La Gloire de Van Gogh, Quatrième de couverture).

  La question trahit l'infâme imposture de la postérité, qui a sauté sur un train en marche et s'en est proclamée le chauffard.

   Car le Van Gogh de 1991 l'est devenu dès 1888, une mort précoce l'a assuré de le rester.

 

   Van Gogh est l'idéaltype du style, il en a parcouru au galop les cinq avatars.

   Test Picasso: 188O-1886, Van Gogh s'initie aux techniques de son temps, sans toutefois se les approprier totalement.

   Maniérisme: 1886-1888, Van Gogh se cherche; il lui arrive de peindre du Van Gogh, reconnaissable parmi mille, mais à côté de nombreuses toiles banalement impressionnistes, voire réalistes.

   Monomanie: 1888, sa recherche s'arrête net. Ce qui n'était qu'une option devient à présent idée fixe. Van Gogh ne fera plus que du Van Gogh, jusqu'à ce que le suicide lui épargne de sombrer dans l'auto-maniérisme ou dans le fauvisme.

   Idiolecte: dans l'avalanche des années 1888-1890, ses contemporains discernent un langage propre: "Van Gogh a eu, à un degré rare, ce par quoi un homme se différencie d'un autre: le style. Dans une foule de tableaux mêlés les uns les autres, l'oeil, d'un seul clin, sûrement reconnaît ceux de Vincent Van Gogh" (Octave Mirbeau, 1891) - langage que lui seul maîtrise, aux autres de le singer.

   Nom: son style parle pour lui, rendant "Vincent" redondant.

 

   Comme tout peintre, Eduard Munch (1863-1944) commence par se faire la main. Dès 1892, avec "Soirée sur la rue Karl Johan", ce qui deviendra "Munch" pointe son nez - mais parmi maintes oeuvres quelconques. A partir du "Cri" (1893), et pendant une dizaine d'années, Munch ne peint (pratiquement) que du Munch.

   Munch a donc connu une trajectoire semblable à celle de Van Gogh, pourtant sa renommée est de loin moindre, pourquoi?

   Parce que Munch a eu une double poisse, de tomber sur son style très tôt, et de mourir très vieux .

   Pire. A la faute d'avoir pas mal peint du post-Munch, il ajouta le péché d'avoir trop peu peint du Munch. Même en plein boom (1893-1903), son style n'a jamais revêtu le caractère obsessionnel de celui de Van Gogh.

(P) Vouloir, c'est ne pas pouvoir autrement,

idem pour le style, la preuve, il y a un Munch après Munch, alors qu'un Van Gogh après Van Gogh est une contradiction dans les termes.

   Si le style est l'homme même, en se laissant aller dans le non-Munch, Munch n'a-t-il pas renié son même?

 

   Tchékov a frôlé le même sort. Dans Ma Vie dans l'art, Stanislavski raconte que lors des répétitions de La cerisaie (1903), "Tchékov rêvait d'écrire une pièce de caractère totalement nouveau pour lui. A vrai dire le thème de sa pièce envisagée ne fut pas très tchékovien. Un mari et son ami aiment la même femme. L'objet commun de leur amour les unit et la jalousie crée entre eux des liens complexes. Les deux partent en expédition au Pôle Nord. Le décor du dernier acte montre un large bateau échoué parmi les icebergs. La pièce se termine avec les deux amis contemplant une apparition blanche dans la neige, qui devrait être l'ombre, l'esprit, ou le symbole de la femme qu'ils aiment, et qui est morte en leur absence. C'est tout ce qu'on pouvait tirer de Tchékov à propos de la pièce qu'il n'a jamais écrite" - sauvé par le gong, Tchékov meurt en 1904, le nom immaculé.

 

 

 

Un homme écrit sa légende et lui court après

 

   On ne peut pas tout avoir - soit le tout, soit la partie, qui du tout fait table rase.

   On ne peut pas tout avoir - soit le nom donné, soit le nom acquis, qui cède ce qui ne lui revient pas à l'homme en général.

   Munch est un artiste, sa carrière posthume dépend des aléas du goût.

   Van Gogh est un archétype, sa carrière posthume dépend de notre système cognitif.

   Comme Napoléon, comme la tour Eiffel, Van Gogh est la Gestalt parfaite, on l'aime, on le déteste, mais on n'ignore pas son nom.

   Van Gogh est son nom, de ceux, rares, que l'humanité a du mal à ne pas retenir.

   Van Gogh est son nom, que ses autres attributs: peintre, saint, fou - ne font que parasiter.

 

   (S) Deviens celui que tu es! - moins, toujours moins, jusqu'à faire un avec ton nom, que rien ne déborde.

   Le nom est l'homme même: "Glenn voulait devenir Glenn Gould quoi qu'il en coûtât" - Van Gogh y est parvenu, il l'a payé de sa personne.

 

   Q: Quel est ton nom?

   R: Je serai ce que je serai.

   Dieu seul, l'anonyme illustre, ne signe pas, car Le Nom - Ha'shem - est son nom.

   A Self Made God, l'homme s'affiche dégriffé, que son style trahisse son nom,

(P) Le maître de la synecdoque écrira sa légende.

 

 

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