ER: Les contemporains

 

L'Extraordinaire Représentatif (ER)([1])

  

La patrie temporelle

 

  Monitrice dans un mouvement de jeunesse, Hila Milo, quinze ans, présente un exposé dont elle n'a pas encore dévoilé le thème. En guise d'introduction, elle fait entendre la bande-son du cri, inimitable, de Tarzan, puis la chanson "Light My Fire" des Doors. Et les enfants, ils ont douze ans, pigent de suite: il est question du temps. Tarzan vient illustrer le passé, Jim Morrison le présent (quant au futur, dans ma famille il est un gros mot, la preuve, ce n'est qu'après avoir divorcé la cousine de ma veuve que Stanley Kubrick a tourné 2001: l'odyssée de l'espace).

  Ce bel exemplum mérite mieux, mais ici il ne me servira qu'à marteler l'évidence: la contemporanéité est une expérience naturelle (spontannée? innée?). Et même si les frontières la séparant du passé sont floues - s'agit-il du Jim Morrison des hippies, OD en 1971, ou du Jim Morrison des yuppies, ressuscité par Oliver Stone en 1991? -, il y a lieu de parler de "patrie temporelle" ("passé" ne signifie pas absent du vécu, ma fille étant une lectrice boulimique de Edgar Rice Burroughs).

  Retenons que les cartes d'identité des deux blocs temporels en question portent chacune le nom d'un homme célèbre, retenons surtout qu'il s'agit de deux apatrides: Lord Greystock, alias Tarzan, et James Douglas Morrison, deux hommes révoltés contre leur temps, contre l'évolution même, servent ici d'icônes de leurs époques respectives; voici un premier aperçu de l'Extra-ordinaire Représentatif (ER) .

 

  Et si l'on datait, non pas de la Circoncision de Jésus, le premier janvier an 1, mais de sa Crucifixion, le jour de la Pâques an 33? Cette expérience de pensée a servi de détonateur à mon livre Trahir le temps (histoire) (1991). Il s'en suivrait le renumérotage de la chronologie en ère chrétienne, devenue universelle. Les principaux intéressés de ce reshuffle seraient les siècles, qui l'un après l'autre commenceraient et s'achèveraient avec 33 ans de décalage. Des vingt s'étant déjà manifestés, notre XXe siècle en serait le plus affecté, qui se verrait littéralement décapité, perdant son premier tiers au profit de son ennemi intime, le XIXe siècle. Allons-nous nous reconnaître dans un XXe siècle amputé de la Première Guerre mondiale, de la Révolution d'Octobre? dans un XXe siècle orphelin de Joyce, Proust, Kafka, du Cubisme, de Stravinski, Picasso, Einstein, Freud, du cinéma muet? allons-nous nous reconnaître dans un XXe siècle inauguré par l'élection de Hitler? Moi, en une telle patrie temporelle je me sentirais étranger. Car cette tranche de 100 ans, cadre arbitraire s'il en est, né du hasard de la Vie de Jésus et du système métrique, s'est (depuis peu) imposé comme notre chez soi temporel. Chez soi, on le voit, identifié à quelques noms et quelques dates clé - ER bis.

 

  Le XXe siècle décapité serait comme les Etats Unis sans leur tiers Est, sans New York, Boston, Philadelphie, Washington, face à une telle hémorragie, même les râleurs du Midwest et du Texas seraient inconsolables.

  A-t-on le droit d'extrapoler "contemporain" de "compatriote"? L'ancrage collectif dans le temps est plus problématique que l'ancrage collectif dans un espace. Un indice qui ne trompe pas: les métaphores abondent qui mobilisent l'espace - et l'argent - pour faire passer le temps: une plage horaire, par exemple, mais je ne connais pas d'exemple contraire (le temps est toujours le teneur (topic) et l'espace, le véhicule). Il n'empêche, le sentiment d'appartenance à une communauté temporelle est constitutif de l'identité de chacun, nous avons tous une patrie temporelle (au moins une). Un homme est l'enfant de son siècle - moi qui déclame: Je ne suis pas de ce siècle, Bloy qui proclame: "Je suis le contemporain du Bas-Empire". L'acte de se retirer du siècle a une histoire, le reclus moderne n'est pas le stylite du IVe siècle, en 1995, l'ascèse trahit l'enfant gâté. (Idem "être en avance sur son temps", idem "Je suis né trop tôt / trop tard": Bède le Vénérable, Arcimboldo, Stendhal, et Jules Verne ne l'étaient pas de la même façon).

 

 

It's Now Or Never

 

  "Nul n'est prophète en son pays" - ni en son temps. Le génie méconnu, et même inconnu, de son vivant, qui doit attendre le verdict de la postérité, "cour suprême d'appel" (Macaulay), pour toucher enfin son dû, est le "chouchou" de l'histoire de la culture. "Juste postérité, à témoin je t'appelle" (Mathurin Régnier), est la litanie des ignorés et des incompris de la terre. Les accrocs de la postérité vont jusqu'à accroire que la reconnaissance dans l'au-delà vaut bien l'anonymat ici-bas.

  Tout est daté, tout est candidat à tomber dans le domaine amnésique, tout est daté jusqu'à preuve du contraire. La contemporanéité, parce qu'elle manque de recul, d'objectivité, bref, de perspective historique, ne sert que de purgatoire, le Jugement Dernier appartient à la postérité, c'est elle qui condamne les uns à l'oubli, les happy few à l'immortalité (toujours provisoire). Par une sage répartition des tâches, les contemporains gèrent les carrières, les postérieurs votent la gloire.

  Quels sont les fondements factuels de cette vision si romantique, si christique? Au lieu de faire, pour la énième fois, le récit de la trajectoire posthume d'un Vermeer, d'un Mozart, d'un Van Gogh, et fidèle au pari statistique de ma thèse de doctorat (Aspects de la survie culturelle), je me suis penché sur le destin des peintres français actifs entre 165O et 1750, aujourd'hui, hier, avant-hier.

  Dans cette enquête, j'ai opté pour un critère draconien: L'artiste fut-il connu le jour J de sa mort? Ce couperet a un sens dans le cas d'un Titien, mort à 88 ans; mais que faire d'un Schubert, mort à 31 ans, d'un Van Gogh, mort à 37 ans, quasiment ignorés de leur vivant, mais célébrés, vénérés, aussitôt disparus ou presque?

  Si l'enquête était à refaire, j'aurais délaissé l'accident: la date de la mort, même si celle-ci ne prête que très rarement à polémique (Nietzsche est cliniquement mort en 1900, pour la philosophie, le 7 janvier 1889); et lui aurais préféré l'arbitraire: les frontières de leur patrie temporelle. Mais comment dessiner les contours de la contemporanéité? Car il faut bien passer pas là, si l'on veut la faire parler: plus élastique est l'étalon, moins il est heuristique, à force d'ad hoc et d'ad hominem il donnera sa langue au chat.

  En matière d'arbitraire, il vaut mieux se fier à un expert, soit Jéhovah Dans le désert (le nom hébraïque du livre des Nombres), chapitre XIV. Exaspéré par les plaintes des Fils d'Israël, par leurs révoltes et leurs trahisons à répétition, Dieu décide de procéder à une purification démographique: "Dans ce désert tomberont vos charognes, oui, tous vos recensés, depuis l'âge de vingt ans et plus, vous qui avez râlé contre moi". Dieu fixe la durée nécessaire pour liquider une génération en douceur: "Et vos fils deviendront bergers dans le désert pendant quarante ans, ils porteront votre prostitution, jusqu'à ce que vous terminiez charognes dans le désert". Oeil pour oeil, an pour jour: "D'après le nombre des jours que vous avez exploré le pays, quarante jours, un jour pour un an, un jour pour un an, vous porterez vos fautes pendant quarante ans, car il faut que vous sachiez ce que signifie ma désaffection". Exit la fameuse génération du désert, en terre promise entrera la génération  qui n'a pas été esclave en Egypte. (Retenons, en passant, la position aux antipodes de la psychanalyse. Selon Freud, l'homme porte à jamais les stigmates de ce qu'il a subi avant vingt ans, voire avant cinq ans; behavioriste, Dieu se tient à ce que l'homme connaît en acteur responsable. Et si la vie privée se décidait à cinq ans, alors que la vie publique ne démarrait qu'à vingt?)

  La Bible nous arme de deux définitions techniques d'un coup: les contemporains d'un événement public - ici, l'Exode - sont les vingt ans et plus; la contemporanéité d'un événement public dure quarante ans - ainsi, celle de 1789 irait jusqu'en 1830, celle de 1830, jusqu'à la Commune, celle de 1871 jusqu'à la Grande guerre... Cadre arbitraire, mais pas tant que ça, car il repose l'intuition que les événements sont soumis à une loi de prescription psychologique; même les pires traumatismes sont effacés par le temps, n'en déplaise à la psychanalyse.

 Cadre arbitraire, sur lequel viendront se greffer, en parasites, des contemporanéités de plus en plus métaphoriques, à commencer par les temporalités à géométrie variable, voire carrément à la tête du client: entiché de "son" XVIe siècle, Braudel faisait durer le plaisir de 1450 à 1640 ("Qu'est-ce que le XVIe siècle?"); entiché de son compte en banque, Lacan faisait durer la séance moins de cinquante minutes, et parfois moins de cinq.

 

  Revenons au phoenix culturel. Malgré le critère choisi, "reconnu pre mortem", les résultats de l'enquête sur les peintres français 1650-1750, ainsi que de deux recherches complémentaires, sur les musiciens et les écrivains du XVIIIe siècle, sont sans équivoque. Tous les artistes ayant pignon sur rues, musées, manuels scolaires de nos jours étaient au moins connus de leur vivant. Même les Frères Le Nain, même Georges de La Tour, longtemps absents de la mémoire et du marché, et redécouverts respectivement vers 1850 et 1915, ont connu une prospérité contemporaine certaine, avant de s'éclipser.

  Hypothèse: jusqu'à la Révolution française, être reconnu "de son vivant" était la condition suffisante pour entrer en postérité, depuis, il suffit d'être reconnu "par ses contemporains". D'antan, pour qui meurt anonyme la messe est dite; à présent, les illustres inconnus disposent d'un délai de grâce d'une quarantaine d'années pour se faire un nom sous terre.

  Hypothèse surprenante, illogique, car elle va à l'encontre de deux tendances lourdes. Depuis deux siècles, la longévité moyenne a doublée: de nos jours, il faudrait quatre-vingts ans pour liquider une génération de façon douce; depuis deux siècles, l'histoire est entrée en frénésie: de nos jours, la roue de la fortune tourne beaucoup plus vite qu'avant, et avec elle, la relève des contemporanéités. En une vie une seule, un artiste moderne risque de connaître l'indifférence, la consécration, l'oubli, et la résurrection, et à chaque phase trouver le temps long.

  Cet effet de l'accélération de l'histoire est patent dans la programmation de la Comédie-Française. J'ai examiné le sort des auteurs qui depuis 1680 ont connu un véritable triomphe contemporain, mais ne sont pas entrés dans le répertoire: ne sont pas devenus classiques. Pendant l'Ancien Régime, un auteur pouvait être à l'affiche un siècle et plus avant d'en disparaître pour de bon, depuis, les succès "éphémères" dépassent rarement les quarante ans.

  Oui, l'accélération de l'histoire abrège les contemporanéités successives. Mais dans son rôle de postérité, la nôtre paraît avoir le souffle large et la mémoire longue, alors que je n'ai pas croisé un Schubert ou un Modigliani jusqu'en 1800. Comment l'expliquer? Est-ce parce que le romantisme a rendu branché le génie mort jeune, en attendant le génie mort-né? ou est-ce la conséquence du passage, dans l'histoire de l'art (et de la science, selon Mario Biagioli), d'un marché clientéliste - primauté à la demande -, à un marché productiviste - primauté à l'offre.

  Et si l'accélération de l'histoire était en large partie une illusion optique? et si la génération du désert durait autant que la génération Mitterrand?

 

  Première Loi de la survie culturelle: le verdict des contemporains prime sur le verdict de la postérité. Pour ne pas sombrer dans l'oubli, il vaut mieux avoir été à la mode, et à défaut, reconnu, de son vivant ou de ses survivants immédiats. Les chances statistiques du génie méconnu sont encore moindres que celles du génie solitaire. It's Now Or Never! (Elvis Presley).

  Que cela nous serve de leçon d'humilité, à nous, hommes du présent aux culpabilités mégalos. Loin de réécrire le passé, loin de constamment le manipuler, les contemporains se contentent de le subir. Les quelques "révolutions de palais", celles qui frappent nos imaginations faussement indignées, celles qui bombent nos torses d'historiens-démiurges, ne devraient pas masquer le phénomène massif: chaque génération ne fait qu'enregistrer les choix et les hiérarchies des générations précédentes, à quelques retouches cosmétiques près. Les contemporains proposent, la postérité dispose et encore. (Nonobstant le talent de Carlo Ginzburg, le meunier Menocchio ne chassera pas Giordanno Bruno de la gallérie des grands hérétiques du XVIe siècle, ni l'y rejoindra. Et la chasse au John F. Kennedy ne fait que consolider sa stature de figure emblématique des années 1960...)

  Est-ce par paresse, par passivité? ou tout simplement, comme le dit Chamfort: "La postérité n'est pas autre chose qu'un public qui se succède à un autre; or, vous voyez ce que c'est que le public d'à présent" - nombriliste, il a ses propres chats à fouetter.

 

  Un échec dans son espace n'induit pas nécessairement un échec dans son temps. Frustré par l'accueil que lui réserve Nazareth, sa famille en particulier (Matthieu XIII:57), Jésus proclame: "Un prophète n'est sans honneur que dans son propre pays et dans sa propre maison" (l'hébreu dit "Pas de prophète dans sa ville"). Il ne prêche pas dans le désert pour autant: hors de sa ville, son message fait un tabac. D'ailleurs, qui n'aspire pas à faire le prophète, mais plus modestement le juge, le prêtre, le chef, le Grand Homme, quoi, même son patelin risque de suffire à son bonheur. (Nul n'est prophète dans son village global?)

 

 

De la catégorie à la catégorisation

 

  Thèse: la contemporanéité est une catégorie, dans le sens contemporain du terme, et plus spécifiquement, elle est une catégorie ad hoc (Lawrence Barsalou); c'est donc dans le cadre des études sur les catégories que je me propose de l'appréhender.

 

  Depuis une vingtaine d'années, la question a connu un véritable déplacement (shift) paradigmatique, qu'on peut résumer par le passage de la catégorie à la catégorisation, du substantif au processus, de la métaphysique à la psychologie cognitive.

  La catégorie à l'ancienne, héritée d'Aristote, présente trois caractéristiques:

- Binarité - X est membre d'une catégorie ou il ne l'est pas, la catégorie étant définie par les conditions nécessaires et suffisantes, ou par le genus proximum et la differentia specifica.

- Interchangeabilité: tous les membres sont égaux devant les conditions nécessaires et suffisantes (ou devant la differentia specifica); ils sont soumis au principe d'équivalence paradigmatique, équivalence hors du temps et de l'usage, donc indépendante de la syntagmatique.

- Immanence: parce que la catégorie est intemporelle, le membre a l'appartenance "dans le sang".

  L'inscription de la catégorie dans le corps et dans le temps, associée au nom de Eleanor Rosch, dégage des principes tout autres:

- Polarité: les membres de nombreuses catégories le sont plus ou moins ("Que votre langage soit Oui, Oui, Non, Non, le reste vient du mal" - non, décidément, les catégories modernes ne sont point christiques...)

- Hiérarchisation: il y a des membres qui produisent un "effet de prototypes" - moineau est jugé meilleur exemple de la catégorie "oiseau" que pingouin.

- Cognitivisme: l'attribution d'un stimulus à une catégorie est souvent fonction de facteurs humains, en premier lieu de notre neurophysiologie.

 

  La catégorisation "à l'ancienne" l'attribution: affecter X à une catégorie lui préexistant - c'est l'activité qui fonde notre commerce avec le monde.

  La catégorisation "nouveau régime" englobe aussi deux autres activités. Le rangement: mettre ensemble ce qui nous paraît devoir aller ensemble; et la spécification: trouver la raison d'être ensemble de ce qu'on accepte comme ensemble - la spécification passant par le nom donné à l'ensemble (infra).

  Le déplacement, de la catégorie à la catégorisation, de l'attribution selon des critères rigides à la mise ensemble de ce qui va ensemble, a élargi le champ à des catégories éminemment hétéroclites; catégories qui, à l'intérieur du paradigme aristotélicien, seraient stigmatisés "erreur catégorielle". Les contemporains, par exemple.

 

  Grâce à cette révolution, c'en est une, la catégorie n'est plus tiraillée entre réalisme et nominalisme, couple o! combien fécond, mais fatigué, elle entre de plein fouet dans le cognitivisme. Loin de tremper dans un quelconque relativisme, le cognitivisme participe d'un nouvel universalisme, George Lakoff l'appelle "réalisme cognitif", ou "expérientialisme".

 L'anthropologie cognitive a beaucoup pesé dans cette évolution. Dans une étude pionnière, Basic Color Terms (1969), Berlin et Kay ont testé la thèse dite de Whorf et Sapir, à savoir que chaque langue peut découper la palette à sa guise (le daltonisme volontariste...). Il n'en est rien. Les langues ont un nombre limité de couleurs de base (basic colors). Leur nombre diffère, allant de deux (noir et blanc / froid et chaud) à onze (noir, blanc, rouge;  jaune, bleu, vert / marron / écarlate, rose, orange, gris); et les frontières les séparant sont assez arbitraires. Mais quand plusieurs langues partagent une couleur de base, il règnera entre elles un consensus sur la teinte focale (focal colors). Exemple: les civilisations ayant la catégorie "rouge", rares en sont privées, sont toutes d'accord sur un rouge focal, qui constitue le meilleur, le plus pur exemple de la catégorie. L'altérité s'achève au cerveau.

  Moralité I: L'absence de frontières étanches ne devrait pas automatiquement jeter un doute sur l'existence-même de la catégorie. Celle des "contemporains", par exemple.

  Moralité II: Parce qu'entre les couleurs les frontières sont mouvantes, d'une civilisation à l'autre, voire d'un sujet à l'autre, elles doivent leur stabilité phénoménologique à un prototype. A fortiori les contemporains.

 

 

Le fatalisme cognitif

 

  Première Loi du fatalisme cognitif: ce qui est perçu côte-à-côte finit par former un ensemble plus ou moins soudé - la contiguïté engendre de la cohésion.

  En physique, "cohésion" décrit la propriété qu'ont les particules des corps de s'assembler les uns aux autres, et de former des composés stables.

  En sociologie, "cohésion" est le degré d'attraction d'un groupe sur ses propres membres, née de l'"instict grégaire" (McDougall, 19O8), Trotter l'appelle l'"instinct de troupeau", savoir l'attirance vers les membres de sa propre espèce.

  Ces deux usages de "cohésion" relèvent de l'être ensemble (sticking together) des membres de la même catégorie aristotélicienne. Restriction raisonnable, notre cerveau s'en moque; par une projection typique, il affuble d'instinct grégaire tous voisins, dans l'espace et dans le temps, qu'ils soient de la même espèce ou pas. Aux contemporains, par exemple.

 

  En cohésion sans tête ni queue le cerveau est gavé, elle le laisse sur sa faim, il n'y a que la cohérence qui le rassasie.

  Deuxième Loi du fatalisme cognitif: ce qui est ensemble forme un ensemble, le cerveau lui cherchera une raison d'être ensemble.

  "Michelle ma belle / These are words that go together well / My Michelle" (les Beatles). What words? "Michelle ma belle", évidemment; mais aussi ceux qui vont de "Michelle" à "Michelle", entre autre parce que "belle" rime avec "well" et avec "Michelle". Avec la classicisation de la chanson, les mots qui suivent: "Michelle ma belle / Sont des mots qui vont très bien ensemble / My Michelle" -  sont eux aussi devenus un bloc inamovible; la preuve, même ceux qui ne comprennent pas un mot de français, ainsi la plupart des Anglais, y compris Paul, John, Ringo & George, les psalmodient religieusement. Que la clé de cet accord soit trouvée: "ensemble", sans rimer avec "belle" en reprend les consonnes - et le cerveau peut aller jouer ailleurs.

 

  Tous voisins postulent à former un "ensemble", à la cohésion avérée, à la cohérence rêvée. Parfois, le cerveau en fustige la prétention, celle de la catégorie "jeu", par exemple, dont le caractère éclaté incita Wittgenstein à frapper le concept de "ressemblance familiale".

  La solution classique: utiliseer une définition de "jeu" pour trier les activités s'en réclamant en membres authentiques et imposteurs -, est un pis aller qui prive le cerveau de son sport favori: transformer les voisins en catégorie, sans trop en sacrifier en route.

  Le cerveau scinde ce qui est ensemble en autant de sous-ensembles qu'il faut pour assurer à chacun sa spécificité propre, et pour que le minimum de voisins passent à la trappe. En guise de justification, il invoque l'homonyme: ce qu'on appelle "jeu", par exemple, couvre en réalité deux, trois, N types d'activités qu'il convient de distinguer.

  Le recours à l'homonyme est une opération salutaire, au terminus connu d'avance: le nominalisme; car une fois la catégorie contestée, la sous-catégorie subira le même sort, les paradoxes de Zénon l'établissent une fois pour toutes.

  Mais le cerveau est un philosophe pragmatique. La logique l'incite à diviser, diviser, et encore diviser? sage, il sait s'arrêter en chemin; elle n'admet que le Un et l'infini? lui connaît le juste milieu. Achille bat la tortue, la flèche atteint la pomme, et parfois l'enfant, et le cerveau descend à l'étage qui concilie son avidité de cohérence et son allergie au gaspillage (étage qui correspond à ce que Eleanor Rosch appelle "basic level").

  Hypothèse: l'homonymisation s'arrête au bord de l'homogénéité mais se garde bien d'y pénétrer.

  Le cerveau divisera les catégories hétéroclites en sous-catégories cohérentes, certes, mais contenant une dose d'hétérogénéité suffisante à garantir une certaine ressemblance familiale entre elles; une division de plus, et les sous-catégories, parce qu'homogènes, risquent d'entrer en autarcie, et le cerveau, en léthargie.

  Puriste forcené, Dr Jekyll ne supporte pas son "moi", coupable d'être un supermarché de penchants, d'aversions et d'appétences; il le tue - Je-kyll -, et lui substitue deux personnes raffinées, l'une bonne l'autre mauvaise: "Je est deux autres". En pure perte: Dr Jekyll est loin du Bien en soi, Mr Hyde n'est qu'une caricature de l'Hommo Victorianus. Le brave docteur en est cruellement conscient, qui déplore l'absence de potion magique à même de passer de la personnalité dédoublée à la personnalité multiple, aux entités de plus en plus fines - absence qui sera comblée, prédit-il, dans un avenir proche. En attendant, il se sabordent.

 

  A l'intérieur du paradigme aristotélicien, aux catégories homogènes, la raison d'être ensemble fait partie de la définition.

  Fournir aux catégories hétéroclites une quelconque cohérence, par contre, est une gageure. Quand il décide de relever le défi du fatalisme cognitif - une fois l'homonymisation stoppée -, le cerveau s'en sort par trois astuces:

  1) Par la tautologie: la cohérence de l'ensemble réside dans son être ensemble, dans sa cohésion - retour à la case départ.

  2) Par le dénominateur commun, or les membres d'un ensemble hétéroclite ont en commun des propriétés qui ne les départagent en rien des autres ensembles. Plus hétéroclite est l'ensemble, plus bas est le dénominateur commun, plus floue, faible, molle est son identité fondée sur ce critère.

  3) Par la synecdoque.

  C'est vers la représentation du tout par la partie que convergent les études cognitives sur la catégorisation.

  La plupart des catégories s'organisent autour de meilleurs exemples et de prototypes (deux notions souvent interchangeables) - on l'a vu avec la catégorie "rouge". Elles sont basées sur l'effet de prototype: les sujets jugent certains membres plus représentatifs de la catégorie que d'autres. Il existe des catégories construites à partir d'un membre générateur. Certaines catégories ont une appartenance (membership) graduée. En somme, la catégorisation obéit au premier principe de la psychologie de la Gestalt: "figure et fond (ground)".

 

  Troisième Loi du fatalisme cognitif: Plus hétéroclite est la catégorie, plus sa cohérence repose sur des synecdoques, au nombre décroissant, au marquage croissant.

  Echantillon: A l'intérieur des catégories homogènes, "nombre premier", par exemple, chaque membre est à même de servir de moule à tous les autres, et même si 3, 5, 7 viennent plus vite à l'esprit, ils n'ont aucun statut particulier; le nombre des synecdqoues est infini, leur marquage, nulle.

 Prototype: Une catégorie assez homogène, "oiseau", par exemple, s'organise autour de nombreux spécimens non-marqués, le moineau, l'hirondelle, le corbeau, tous également représentatifs du tout, alors que les spécimens plus marqués, tel le pingouin ou l'émeu, sont réduits à l'état de "citoyens de deuxième degré".

  Paradigme: En avançant sur l'échelle de l'hétérogénéité, un prototype ne fera plus l'affaire, l'identité d'une catégorie devra reposer sur un membre paradigmatique, sans lequel il n'y a pas de ressemblance familiale. Exemple: la famille "tragédie", selon Morris Weiz, doit son unité toute relative que grâce à un réseau de parenté que cultivent ses membres avec un nombre limité de membres consensuels, il cite Hamlet.

  Idéaltype: Les nostalgiques de la catégorie aristotélicienne ne se contentent pas de la ressemblance familiale, ils fonderont la catégorie hétéroclite sur l'idéaltype, dans le sens où l'entendait Max Weber: "On obtient un idéaltype en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue... On ne trouvera nulle part empiriquement un tel tableau dans sa pureté conceptuelle: il est une utopie". Exemple: Oedipe Roi est l'idéaltype de la catégorie "tragédie", Oedipe Roi nettoyé de la contingence et du bruit par Aristote dans La Poétique; autre exemple: Michael Jordan, His Airness, est l'idéaltype de la catégorie "basketteur".

  Extraordinaire Représentatif (ER): Passé un certain seuil, même l'idéaltype ne parvient pas à fédérer les membres de la catégorie, pour leur assurer ne serait-ce qu'un semblant de cohérence, il leur faut se reconnaître dans le plus extravagant des leurs.

  De tous les lieux français, et quel qu'en soit le paramètre, vols à main armée, touristes japonais par mètre carré, deniers publics investis dans la pierre, Paris offre le plus grand écart par rapport à la moyenne nationale. Or c'est sa déviance, précisément, qui accouche de ces propositions, paradoxales en apparence:

"Paris et la province forment les deux pôles de la vie nationale française. Qui connaît Paris connaît le principal de la France." (Curtius, Essai sur la France).

  Formalisé, cela donne le syllogisme suivant: "Paris, c'est le contraire de la France" donc "Paris, c'est la France".

  L'absurdité logique est une normalité cognitive. Cela offense nos principes, mais le cerveau est foncièrement anti-démocratique, à tout instant il tient des élections à l'envers, y être statistiquement non représentatif est un atout décisif. C'est la psychologie de la Gestalt qui l'enseigne: Plus a-typique est le stimulus, plus il a des chances de s'imposer comme figure.

  Ce n'est ni le hasard, ni le piston qui ont fait de Napoléon une grande figure et de ses contemporains, des figurants. Chacun de ses maréchaux et grenadiers pris séparément était peut-être un brave type, mais nul n'avait les poumons pour tenir l'histoire en haleine vingt ans durant, a fortiori une tragédie classique en cinq actes.

 

  Quatrième Loi du fatalisme cognitif: Le degré de cohésion (cohesiveness) des catégories peu hétéroclites est fonction de l'étanchéité de leurs frontières, celui des catégories très hétéroclites est fonction de la qualité de Gestalt de leur synecdoque(s).

 

 

Les catégories hétéroclites

à identité tranchée

 

Catégorie       "oiseau"    "tragédie"    "France"  "Chrétiens"

 

Hétérogénéité      -            -+          ++          +++

 

Frontières    

 

Type de         prototype   paradigme/      ER           IR

synecdoque                  idéaltype

Nombre de         

synecdoques        +            peu         1-2          1

Marquage de      

la synecdoque      -            +           ++          +++

Marquage des      

autres membres     +            -+          - (ON)      ---

                                                

 

  Force est de constater que les objets dont historiens, anthropologues, sociologues ont la charge ne présentent aucune affinité avec les catégories du type "oiseau"; ils présentent peu d'affinité avec les catégories du type "tragédie". Nos objets respectifs relèvent pratiquement tous de la catégorie à hétérogénéité exacerbée, pourtant on s'obstine à les appréhender avec l'arsenal catégoriel "aristotélicien": par la moyenne et la médiane, par l'habitus et l'épistémè, bref, par les régularités, statistiques et autres.

 J'accuse les sciences sociales d'être en retard d'un paradigme. Nulle part ne sont-elles plus ringardes que dans leur traitement de la dite identité collective. On la cherche, on la reconstitue au centre, du côté de l'ordinaire, alors que l'identité, qu'elle soit individuelle ou collective, ne passe jamais par la moyenne, pour la bonne raison, simple, allant de soi, que la moyenne dénivelle les valeurs, la nuit tous les trous sont noirs, sous l'eau tous les icebergs sont mouillés. Pour adopter le jargon de nos maîtres, l'identité est du pôle événementiel, elle repose sur ce que Freud appelle "le narcissisme de la petite différence": Goethe et Cheeta (le chimpanzé de Tarzan) ont 97% d'ADN en commun - A chaque génération un homme doit se considérer comme étant lui-même descendu des arbres.

 

 

The Great Chain of Beings

 

  Histoire: L'étude systématique de ce qui est daté.

  Daté: Ce qui porte la marque de son temps - le typiquement contemporain.

  Daté: Ce qui hors de son temps serait comme un poisson hors de ses eaux territoriales - serait anachronique.

 

  Grattez l'historique - le daté -, vous découvrirez l'homme en général, grattez l'humain, le naturel revient au galop. Le paradoxe (kamikaze) de la branche dite structuraliste de l'historiographie du XXe siècle consiste à éviter le daté - l'événement, l'écume, la surface -, comme la peste, par une double fuite en avant: tout a une histoire, les croyances, le complexe d'Oedipe, la pluie et le mauvais temps, mais dans la longue, très longue durée, cadence qui se passe de l'homme dans ce qui fonde sa temporalité expérientielle: la contemporanéité.

 

  Un danger que le contextualisme contourne tant bien que mal. La mise en contexte est l'opération historienne par excellence, or qu'est-ce qu'un contexte? la contemporanéité de nos ancêtres. L'historien conçoit sa matière comme a Great Chain of Beings, les êtres étant les contemporanéités successives, chacune défilant avec son uniforme propre. J'en vois pour preuve l'accusation d'anachronisme, qu'on peut traduire par erreur catégorielle: selon Lucien Febvre, étudier le Siècle de Rabelais avec l'outillage mental du XVIIe siècle, c'est passer du coq à l'âne ("torchon et serviette", "apples and oranges"), c'est chercher midi à quatorze heures.

  Trêve d'ironie. De tous les ramassis humains, la contemporanéité paraît être la plus lâche des catégories, qu'à cela ne tienne, elle est indécrottable, parce que les acteurs s'y reconnaissent, parce que les observateurs ne peuvent en faire l'économie.

  De cohésion, les contemporanéités successives ont à revendre, le fatalisme cognitif s'en charge, mais le cerveau historien ne saurait s'en satisfaire, c'est à son honneur. Mais comment procurer de la cohérence à une catégorie à ce point hybride?

 

 

"Kafka et ses précurseurs"

 

  Jusqu'ici, la démonstration penchait du côté du réalisme, où les catégories pré-existent à leur principe de cohérence. Cela est dû au fait que les exemples ont été prélevés des catégories dites naturelles, "rouge" et "oiseau", et à des catégories naturalisées depuis des lustres, "tragédie" et "France".

  Dans ces deux derniers cas, il y a déjà lieu de s'interroger qui précède qui, l'oeuf ou la poule, l'idéaltype ou le genre, le ER ou le ON (l'Ordinaire Non-représentatif).

  Des catégories ad hoc: "Ce qu'on apporte comme cadeau d'anniversaire", "Ce qu'on fait le week-end" - ne laissent pas de place à un tel doute, elles doivent clairement leur raison d'être à un principe génératif.

  A fortiori les catégories ad hominem: c'est la faculté des voisins, dans l'espace et dans le temps, de se fédérer autour d'un des leurs qui en fait un ensemble stable. Les contemporains, par exemple.

  Les catégories ad hoc sont éphémères par définition, leurs membres vont au dernier offrant, et souvent à plusieurs, avant de disparaître faute d'avoir trouver un cadre fixe. Pour qu'une catégorie ad hoc se coagule pour de bon, elle a besoin d'une image de marque indélébile.

  Six personnages en quête d'auteur - faute d'auteur, point de pièce, faute d'auteur et de héros. Parlons donc de "nominalisme cognitif": un ensemble doit son identité au Nom d'un de ses membres, celui, précisément, qui s'est fait un nom, que les autres fassent autant - sur son dos.

  "Imagination it is which builds bridges, and cities, and empires. The beasts know it not, the blacks only a little, while to one in a hundred thousand of earth's dominant race it is given as a gift from heaven that man may not persih from the earth" ("L'imagination, c'est ce qui fait construire les ponts, les villes, les empires. Les animaux n'en ont pas, les Noirs n'en ont que peu et, dans la race qui domine la terre, elle est donnée à un individu sur cent mille, comme un cadeau du ciel destiné à garantir que l'homme ne disparaîtra pas de la surface du globe"). Dans ce passage de Jungle Tales of Tarzan (chapitre 5, "Tarzan and the Black Boy), Burroughs le raciste, à l'instar de Bil'am (Nombres XXII-XXIV) vient maudire et se retrouve bénir. La différence raciale, dit-il bien malgré lui, ne réside que dans le fait que les Blancs comptent un être d'exception sur 100,OOO, les Noirs, moins, les animaux, point. Il s'ensuit que les 99,999 des Blancs restants sont les égaux des Noirs et des animaux, ce qui ne les empêche pas de s'en sentir supérieurs, et de les dominer - le maître de la synecdoque écrira sa légende.

  Plus extra-ordinaire est ce nom, plus il est à même d'assurer à ceux qui s'y reconnaissent une identité forte. Soit l'Eglise catholique, apostolique et romaine, qui est allée jusqu'à fonder son identité sur l'Incommensurable représentatif (IR). Qu'est-ce que l'Imitation du Christ? le devoir de tout chrétien de se reconnaître dans l'Autre absolu. Qu'est-ce que la Croix? le symbole du moment le plus monstrueux de la carrière déjà limite du Fils de l'Homme. Et même sur deux IR, la Vierge l'est à plus d'un titre. (Incommensurabilité à temps partiel, s'entend - c'est au sommet de sa gloire d'Autre que le Christ est humain si humain; et la Vierge ne l'est que le temps d'enfanter Jésus).

  Plus extra-ordinaire est le Nom, plus forte sera l'identité de l'ensemble, sky is the limit - et dans le cas du judaïsme, les cieux sont vides, YHVH en est le IR absolu, être dont on ne peut parler que métaphoriquement, pour ne pas tomber dans l'anthropomorphisme (voir la théologie négative de Maïmonide)

  Non, je ne prétends pas que tout aberrant soit à même de tenir lieu du tout, qu'il suffise d'être chien enragé pour représenter la meute tout entière. Sur 1OOO mutations, la Nature extermine 999, au bas mot; mais c'est au rythme de nos pertes et profits au casino génétique que nous sommes descendus des arbres, que nous sommes devenus le joyau de la Création.

 

  De tous les ramassis humains, les contemporains ont le plus besoin d'Extra-ordinaire Représentatif, pour ne pas dissoudre dans un temps sans frontières, un temps parménidéen qui ne fait qu'UN.  Privés de Guerre, de Grand Homme, de mai 68, les membres de la dite "génération Mitterrand" se débattent entre la "génération de la crise", la "génération du SIDA", la
"génération de M.T.V.", ils finiront mal. Dans cette opération de salut public, les patries temporelles ont intérêt à se reconnaître dans leurs membres se disant apatrides; tout comme les villes les plus cosmopolites, véritables amants des déracinés de tous poils: le Berlin des années 1920, Paris avec des hauts et des bas, New York depuis la Guerre, tiennent lieu de leur espace en particulier - et de leur temps en général.

  Borgès: "Chaque (grand) écrivain crée des précurseurs" - a fortiori ses contemporains; même l'ignoré, "Toute génération a la gueule du chien" (le Talmud).

 

  A l'époque, le génie méconnu mobilisa ma commisération teintée de ressentiment, aujourd'hui elle va vers les contemporains, qui sont passés à côté de son génie. Car que perd le génie méconnu dans l'infamie? le sommeil, la santé, de l'argent, parfois la vie. Et que perdent les contemporains? une occasion de se forger une âme collective, une griffe, un souffle, ils n'auront pas trente-six. Il n'est jamais trop tard, et on en voit la queue.

 

 

Démesure pour démesure

ou

We Are The Champion(s)

 

  Le champion est à l'origine le délégué d'un groupe ou d'une cause - le champion est la synecdoque sur le champ de bataille, d'où son nom. Mais quel type de synecdoque?

  "Du camp philistin sortit l'intermédiaire (l'hébreu dit "homme de médiation"), Goliath fut son nom, il mesura six amoth et zereth... Il se dressa devant le camp israélite et leur dit: Pourquoi vous battre? moi, je suis Philistin et vous, vous êtes les esclaves de Saul. Choisissez un homme, qu'il descende vers moi. S'il peut m'affronter et me frapper, nous serons vos esclaves, et si je le battrai, vous serez nos esclaves" (Samuel I, XVII, 4, 8-9).

  Que la réputation faite à Goliath ne cache pas la noblesse de son raisonnement. Trois millénaire avant Catch 22, il proclame la primauté de la vie, même soumise, à toute mort, même fière. Au lieu du bain de sang dont la Bible traditionnellement nous gratifie: chaque bataille s'y solde par des dizaines de milliers de victimes -, le scénario écrit par Goliath ne coûtera qu'une vie humaine une seule.

  Mieux. Comme le dit Goliath si bien, il n'y a que les Philistins qui risquent de perdre dans l'affaire, car eux sont des hommes libres, alors que les Israélites, qui viennent de s'offrir (à) un roi, sont de ce fait déjà esclaves; en cela il ne fait que rejoindre l'analyse de la monarchie que leur a faite le prophète, avant d'oindre Saul: "Le futur roi taxera vos biens et vous deviendrez ses esclaves", (VIII, 17). Sans aller jusqu'à crier "Ni Dieu ni maître", Samuel semble dire qu'entre un ER aux cieux et un ER qui n'est que le premier parmi eux, sa religion est faite. Et Goliath de surenchérir: Quel que soit l'issue du duel, vous autres, vous aurez la vie sauve, tout au plus subirez-vous un changement de suzerain.

  "Saul ("le plus haut de la nation" sans plus, IX, 2) et tout Israël entendîmes les propos du Philistin et furent pris de frayeur et de terreur". Pourquoi? La réponse toute faite attribue leur terreur aux mensurations de Goliath: son armure pèse cinq mille shekalim, son sabre est comme ???, le sabre pèse six cent shekalim, etc.

  Pourtant le gigantisme de Goliath ne justifie pas la torpeur des Israélites. Car qui les obligea à accepter son marché? Ils auraient pu l'envoyer promener, pour se lancer dans une guerre classique, camp contre camp, qui leur a souvent pas mal réussi.

  Des exégètes prétendent que les Israélites craignaient que Goliath soit un échantillon représentatif de son peuple - et si tous les Philistins étaient comme lui? Mauvaise lecture: après tant de frictions avec leurs voisins du sud, les Israélites en avaient déjà fait le tour physiologique.

  Si les Israélites sont ainsi pétrifiés, c'est que l'argument de Goliath est logiquement irrésistible. La preuve, une fois son offre entendue, leur seul souci, et quel souci, est de se donner un champion à même d'affronter le béhémoth. La mission des Israélites, apparemment impossible, est de dénicher, dans leur camp, le membre qui leur tiendra lieu par son altérité même - de nommer un délégué aussi monstrueux que Goliath.

  Mais impossible n'est pas biblique, à ceci près que le ER n'est jamais nommé; soit les faits l'impose, soit il s'auto-proclame: Goliath n'a pas été élu au suffrage universel, ni David.

  Le monstre philistin l'est par hyperbole? au lieu d'un Samson bis, le monstre israélite le sera par litote, voire par inversion; Goliath est un superman? David sera l'anti-soldat. Il part au combat sans armure, sans arme conventionnelle, sans expérience militaire; et il est si jeune, le huitième fils de Ishaïe dont seuls les trois aînés sont mobilisés, qu'entre lui et la conscription il y a quatre frères!

  Justice poétique fut faite, le plus extraordinaire, le plus monstrueux des champions l'a emporté. C'est alors que le ER apparaît dans toute sa puissance performative. La défaite de Goliath est la défaite de son camp tout entier: "Ayant vu que leur héros était mort, les Philistins ont pris la fuite"; le gentelmen agreement devenant de ce fait caduque, les Israélites ne se privent pas de les pourchasser et de les massacrer. Qui est l'auteur de cette boucherie? La synecdoque: "A leur retour (à Jérusalem), quand David revint après avoir frappé le Philistin, les femmes de toutes les villes d'Israël sortirent devant le roi Saul et chantèrent: Saul tua par milliers, David, par dizaines de milliers" (XVIII, 6-7).

 

  Grandeur et décadence de la synecdoque. La Bible ne reconnaît que le champion solitaire, aujourd'hui tous les stades du monde chantonne en choeur le hymne de Queen: "We Are the Champions". La Bible n'admet que l'Election à candidat unique: avec l'échec du peuple élu, si échec il y a, la place de l'Elu est à jamais vacante, n'en déplaise au "Nouveau peuple d'Israël"; alors que la démocratie de marché nous réduit aux élections qui bon an mal an accouchent leur lot d'heureux élus.

 

  Carnet de campagne, 1995. Jacques Chirac, meeting à la Réunion: Le président doit ressembler aux Français pour les rassembler; pour paraphraser Gerald Ford parlant de Lincoln, si le général De Gaulle était vivant, il se serait retourné dans sa tombe...

  Si par rassembler il entend flatter l'instinct grégaire de ses semblables, il sera servi. Mais pour leur insuffler une âme, le chef se doit d'être cet Autre avec lequel ses sujets néanmoins puissent s'identifier. Soit la quadrature du cercle.

 

*

 

  A ceux qui désirent ne pas mourir idiots je dis: Lisez Clefs; aux autres: Que chacun cultive son jardin. A vous les carrières, à moi la grandeur.

 


 

  Que vaut Cervantès sans Don Quichotte, Achille sans le tendon, l'OM sans le but de Basile Boli en finale de la Coupe d'Europe des champions; c'est l'évidence même, mais de ses ramifications on tient rarement compte.

  Notre attention est irritée par A, partie d'un ensemble dont du coup nous prenons conscience. L'ensemble est-il constitué par nous pour tenir compagnie à A: pas de figure sans fond -, ou préexiste-t-il à notre irritation? je penche vers l'hypothèse réaliste. Il n'empêche, sans A, l'ensemble serait passé inaperçu, par nous, par lui. Cognitivement parlant, B à Z n'existent que grâce à A:

  Que l'enesemble se reconnaisse dans son ER est à son honneur, car que fait-il le reste du temps? Que notre cerveau encapsule l'ensemble dans son ER est pour notre bonheur, il nous épargne son ON, nous sommes déjà gavés du nôtre.

 

- ER éclabousse la classe de sa classe

- 1984, je tourne en dérision le mythe du génie méconnu, ma carrière est alors en pleine ascension, la conclusion de ma recherche est en plein accord avec mon choix de l'époque: être à la tête des renards plutôt qu'à la queue des lions.

- 1993, je publie Clefs, un livre qui fait date dans l'histoire de la vérité elle n'en a pas, il passe inaperçu. Le verdict du texte de 1984 ne varie pas d'un pouce: It's Now Or Never! - donc Never! Ne sortez pas vos mouchoirs: je préfère, et de loin, être l'homme qui a écrit Clefs, que l'homme qui n'a pas écrit sur Clefs. (Plutôt faire le figurant dans la cour des grands que le malin dans la cour des nains).

 

- Dans les catégories hétéroclites, la métonymie fabrique de la cohésion, mais pour la cohérence il faut une synecdoque

- La cohérence: Au-delà du principe de réalité

- Comparons des choses comparables

- Il faut 3O ans pour compter jusqu'à milliard

- The Quantitative Fallacy: ni réalisme, ni cognitif. Mais la méthode qualitative ne fait que déplacer l'illusion totalisante à une moindre échelle, celle d'un village, d'un homme, d'un jour.

- Il ne faut pas généraliser: Non pas parce que les stéréotypes se trompent, mais parce qu'il y a si peu. Sexe, argent, langue, étrangers, terre, H/F - le nombre des invariables au potentiel distinctif est limité, les fantaisies combinatoires n'y pourraient rien

- La cohésion sécrète l'adhésion, mais nous, il nous faut de l'adhérence

- De l'auto-catégorisation

- Le beurre: "Tout est daté jusqu'à preuve du contraire" - et l'argent du beurre: "Tout est universel jusqu'à preuve du contraire".

- La prescription, façon de définir la contemporanéité juridique.

- Daté: démodé, passé, produit périssable

L'échelle du daté: Le ER est le sommet de la pyramide, le ON, sa base. Mais le ER, tout comme le ON, trouvent un écho hors de leur temps...

La Jeune Fille et la Mort - Le plus daté à portée universelle

Napoléon est infiniment plus daté que les "contemporains de Napoléon"

Plus on descend dans l'échelle socio-culturelle, plus on pénètre dans l'anhistorique (idem spontanéité: Laisse-toi aller..., idem les profondeurs de l'individu: Plus je vais au fond de moi-même moins je suis seul)

Histoire: sautiller de cime en cime, de daté en daté

Les contemporains de Napoléon et les contemporains de Louis XIV se ressemblent dix fois plus que Napoléon et Louis XIV

Mais entre les cimes, entre ER, s'instaure un fécond dialogue de sourds

Entre eux il n'y a pas de ressemblance de contenu, mais de structure

- L'histoire s'est affranchie de sa mésalliance avec la géographie, cela ne la dispense pas de réfléchir sur l'homologie espace-temps. 

- Même les tendances lourdes n'ont de réalité que dans les tout petits écarts

- (Vu la haute opinion que j'ai de moi-même, vu le peu d'écho que cette opinion rencontre dans le monde, je vous renvoie aux dernières élections des Directeurs d'Etudes à l'EHESS, ce pronostic est un véritable cadeau empoisonné que je me suis offert il y a dix ans: self fulfilling prophecy...).


 

Le fatalisme cognitif

 

  Première Loi: ce qui est perçu côte-à-côte finit par former un ensemble plus ou moins soudé - la contiguïté engendre de la cohésion.

  Deuxième Loi: ce qui est ensemble forme un ensemble, le cerveau lui cherchera une raison d'être ensemble. A défaut, il scindera ce qui est ensemble en autant de sous-ensembles qu'il faudra pour assurer à chacun une spécificité propre.

  Troisième Loi: Plus hétéroclite est la catégorie, plus sa cohérence repose sur des synecdoques, au nombre décroissant, au marquage croissant.

  Quatrième Loi: Le degré de cohésion (cohesiveness) des catégories peu hétéroclites est fonction de l'étanchéité de leurs frontières, celui des catégories très hétéroclites est fonction de la qualité de Gestalt de leur synecdoque(s).

 

 

Les catégories hétéroclites

à identité tranchée

 

Catégorie       "oiseau"    "tragédie"    "France"  "Chrétiens"

 

Hétérogénéité      -            -+          ++          +++

 

Frontières    

 

Type de         prototype   paradigme/      ER           IR

synecdoque                  idéaltype

Nombre de         

synecdoques        +           peu          1-2          1

Marquage de      

la synecdoque      -            +           ++          +++

Marquage des       +            -+          -           ---

autres membres                             (ON)        

 

Exit le tout. Entre la synecdoque

 

  Le cerveau est une hydre à trois casquettes. Sur l'une est écrit "tout est relatif", sur l'autre, "tout se tient", sur la troisième, "tout ou rien", les trois sont bonnet blanc et blanc bonnet. Selon le totalisant, s'il n'existe pas de critères universels pour déclarer toute chose bonne ou mauvaise, belle ou laide, vraie ou fausse, alors le bien, le beau, le vrai n'existent pas...

  C'est par ce sophisme que grands et petits également se privent de ce qu'ils prisent par-dessus tout: le bien, le beau, le vrai. En ratissant large, holistes et globalistes se condamnent à s'entendre au raz du sol. Plus vaste sera la plaine, et si peuplée.

  Peut-on avoir raison de la raison? Oui, en la bluffant avec ses propres armes.

  Le cerveau n'a de respect que pour la figure, en même temps il nous gave en fond. Pour regagner ses faveurs, il faudra trier, cloisonner, compartimenter. Pour prendre notre pied, il faudra apprendre à bouder son plaisir, "Béni soit-il qui isole le sacré du profane".

  Le tout est pâle, la passion passera par la partie. Le tout est un pot pourri, il ne se dégustera qu'à travers un de ses ingrédients. Que Dieu nous protège du relativisme; et s'Il n'existe pas, on fondera nos espoirs sur la synecdoque.

  Mais pas sur n'importe laquelle.  Plus pourri est le pot, plus l'ingrédient à même de lui procurer une saveur identifiable devra se démarquer de ses compagnons d'amalgame.

  C'est une loi de la culture: le tout n'existera qu'à condition de se reconnaître dans son Extraordinaire Représentatif (ER) - à imaginer qu'il en a un.

  Les fans de l'absolu admettent volontiers que "2 X 2 = 4" est l'aiguille dans la botte de foin, ensevelie qu'elle est sous une masse critique d'"à peu près" et de "cela dépend du point de vue". Les zélotes du mot juste se doivent de reconnaître en "A rose is a rose is a rose" l'arbre qui cache la forêt, avant et après Gertrude Stein ayant pondu des "What a beautiful rose!" à la chaîne. Et les officiants de la chose en soi savent pertinemment qu'un orgasme ne fait pas le printemps, le train-train sexuel étant fait de "oui, mais" et de "c'était presque ça".

  Pour se faire un nom il faut frapper l'imagination, celle-ci n'est sensible qu'à la bonne Gestalt.

  La France existe, parce que ses trente-huit mille communes ont su oublier leurs querelles de clocher et se fédérer autour de la plus déviante parmi elles: Paris.

  Achille existe, parce que son corps d'acier a accepté de passer à la postérité grâce à son unique organe mou: le talon.

  Narcisse existe, et comment!, parce qu'il a abdiqué la totalité de sa personne, pourtant sublime, au bénéfice d'une faculté qui n'en faisait pas partie au départ: aimer.

  Dans sa marche vers l'amour de soi justifié, le narcisse éthique s'inspirera de ces trois cas d'identité forte. Il pratiquera ce que, faute de mieux, surnommons partielisme.

  Le ER est l'unique anti-corps connu contre l'érotiquement correct et autres penchants aseptisés - le relativiste en est incurablement déficient. Le narcisse éthique tendra vers l'ERisation de son existence, pas de mirage sans désert.

 

 

 

L'arbre qui cache la forêt ([2])

 

   Et si l'arbre qui cache la forêt était l'aiguille dans la botte de foin?

   Ce serait alors la forêt qui cache l'arbre: l'abattre!

   "Elle s'occupe de la forêt moi de l'arbre" (Steve Swallow, contrebasse, de sa compagne Carla Bley, piano), freudiens de tous poils jouissez.

   On ne peut pas tout avoir - soit le tout, soit la partie.

   L'arbre est la figure la forêt est le fond, seul l'arbre qui suspend la forêt est une bonne Gestalt.

   Suspendre: S'il n'y avait qu'un verbe.

   L'arbre qui cache la forêt est la partie émergée de l'iceberg.

   Sous l'eau tous les icebergs sont gris, sur l'eau presque tous, en nous transformant en scaphandriers, le dogme de l'iceberg nous renvoie tous dos à dos.

   On ne se fait pas un nom avec son complexe d'Oedipe.

   Ni avec la forêt, uniquement avec l'arbre qui la suspend.

   A moi l'arbre à vous la forêt.

   Le maître de la synecdoque écrira sa légende.

 

   "Le bon Dieu est dans le détail"? selon le théologien, Il est plutôt dans l'absence de détail.

   Le bon Dieu est dans le détail, oui, mais pas dans n'importe lequel - le bon Dieu est dans le bon détail.

   Le bon Dieu est dans le détail à même de faire le vide autour de Soi => ce qui n'est pas le bon détail n'est qu'humain.

   Tout est dans la nuance, oui, mais pas dans n'importe laquelle - tout est dans la nuance qui fait la différence.

   Tout est dans la nuance à même d'être tout => ce qui dans le tout n'est pas la bonne nuance en est marginalisé, voire vomi.

   Tout Achille est dans son talon, au propre et au figuré.

   Le bon détail est l'arbre qui cache la forêt - et pour cause.

   Le bon détail, du tout aspire à devenir synonyme: Paris est la France, ce qui n'en relève pas, de près ou de loin, est contingent.

   Le mauvais détail ne peut revendiquer la représentation du tout sans que mille autres s'esclaffent: Et pourquoi pas moi?

   Le bon détail est honni par les mauvais: "Malheur à moi qui suis la nuance" (Nietzsche).

   Dans un tout, 99,99% des détails ne sauraient faire la différence, et le plus souvent, 100%.

   Pour s'adonner à la nuance qui fait la différence, encore faut-il en être porteur.

   Un seul détail peut dire: La France, c'est moi; pas un pour dire: Le Canada, c'est moi, sans provoquer l'hilarité nationale.

   Bons ou mauvais, tant qu'il y aura des détails nous sommes sauvés.

   Dr. Samuel Johnson: "It is by studying little things that we attain the great art of having as little misery and as much happiness as possible".

   Les détails, n'importe lesquels, sont nos plus efficaces amortisseurs, voire somnifères, ils nous protègent et de la misère - et de la grandeur.

   "Tant d'arbres qu'on ne voit pas la forêt" (dicton hébreu) - tant d'arbres qu'il n'y a pas de forêt...

   Dépourvu du bon détail, un tout fond ipso facto dans un tout qui le déborde - dans l'homme en général.

   Shylock: "I am a jew. Hath not a Jew eyes? hath not a Jew hands, organs, dimensions, senses, affections, passions? ... if you wrong us, should we not revenge? If we are like you in the rest, we will resemble you in that".

   Sans la nuance qui fait la différence, tout revient au même.

   La nuance qui fait la différence nous élève au rang d'homme en particulier, or même un Kafka n'était Kafka que deux heures par jour - et le reste du temps?


 

 



([1]) Lors de la présentation de ce texte, on s'est permis d'en changer le titre en "Quand l'extraordinaire est représentatif" - comme si on intitulait un texte de Max Weber "Quand un type est idéal"; au moins m'aurait-on trahi par "Quand différer c'est représenter"... Mais qui suis-je pour me plaindre: Roger Caillois, pourtant l'introducteur de Borgès en France, "traduit" "Kafka et ses précurseurs" par "Les précurseurs de Kafka".

 

 

([2]) Clefs, pp. 61-67, 85-87.

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